Chapitre VI - Premier jet

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    Afin de ne pas faire trop attendre mon alpha, je ne répondis qu'aux courriers les plus urgents, que je rangeai délicatement sur un coin de mon bureau pour Henry. Il se chargerait ensuite de les transmettre à un fantôme postier, qui s'occuperait ensuite de les redistribuer dans tous Londres, en échange de quelques boissons chaudes. Grâce à eux, envoyer des lettres et des colis n'avait jamais été aussi simple ni aussi abordable.

    Mr. Vincent, à qui j'avais fait signe de rentrer, avait tourné un moment devant le meuble, avant de finir par me rejoindre, sa tête couchée sur mes bottines noires bordées de dentelle ivoire. J'étais donc à présent partagée entre la peur de lui donner par mégarde un coup dans la gorge, et la fierté devant une telle marque de confiance.

    Dans nos coutumes, se coucher aux pieds de quelqu'un en étant sous sa forme de loup était un signe de respect et de confiance absolue. Il pouvait aussi servir à signifier que nous nous fiions au jugement d'une autre personne et que nous nous en remettions à son autorité et à ses décisions. Pour un humain, ce geste se rapprocherait du moment où quelqu'un pose un genou à terre pour saluer son souverain, bien qu'il s'agisse pour eux plus de soumission que de respect.

    Plusieurs fois, je tentais de sentir si un morceau d'âme humaine ne m'avait pas échappé lorsque je l'avais examiné pour la première fois son état, sans résultat. Si certaines créatures étaient capables de "déchirer" des âmes, il semblait que ce n'était pas le cas ici. Je ne sentais pas non plus l'odeur métallique du sang, et ne voyais aucune marque de blessure. Il ne s'était donc pas battu avec quelqu'un ou, du moins, n'en avait pas eu le temps.

    Je ne savais pas si ce constat me dérangeait ou me soulageait. Peut-être un peu des deux.

    Je me relevai lentement, veillant à ce que l'animal à mes pieds ne soit pas réveillé trop brusquement. Il était temps de rejoindre Lord McDonnell et Sir. Albert Coalman, et de voir s'ils avaient de nouvelles informations à propos de cet étrange phénomène. Il nous fallait savoir à tout prix s'il s'agissait d'un phénomène magique ou si quelqu'un l'avait attaqué, et dans ce cas pour quelles raisons il avait été pris pour cible. Quelqu'un lui en voulait-il personnellement ? Ou était-ce une menace pour la meute entière ? Ou pire encore, était-ce un nouveau meurtrier qui en voulait à toute la communauté surnaturelle ?

    Je récupérai un chapeau, décoré d'un ruban bordeaux rayé de noir qui était assorti à ma toilette, et un mantelet en drap scotland. Il fallait vérifier avec le Département de l'Étrange s'ils avaient encore un employé chargé d'élucider les cas de "mystification" - une bien grossière façon de parler de tous les sortilèges, malédictions, rituels et attaques aux origines mystérieuses. Il y avait dix ans de cela, ils avaient licencié pour des causes économiques la jeune femme qui travaillait sur toutes ces affaires. Je ne me rappelais malheureusement pas si elle avait été remplacée depuis, mais il serait intéressant de me renseigner à ce sujet.

    Dans tous les cas, je devais m'entretenir avec Mr. Murray. Il avait travaillé sur tous les dossiers qui traitaient des attaques psychiques ou magiques, avant de s'occuper plus particulièrement des cas de malice féérique - qui arrivaient fréquemment quand les-dites fées s'ennuyaient ou avaient des problèmes de voisinage avec la victime.

    Je posais ma main gantée sur la poignée de la porte. Mr. Vincent, qui s'était réveillé et s'étirait avec joie, me rejoignit en quelque foulées, la queue frétillante quand j'ouvris le battant. Il me suivit docilement, lâchant un petit jappement - que je supposais être un bonjour - à chaque domestique qu'il croisait. Au moins n'avait-il pas perdu ses bonnes manières.

    Je passais plusieurs bureaux, avant de m'arrêter devant celui de Sir. Albert Coalman. Il s'en échappait une cacophonie des plus épouvantables, et je pouvais apercevoir au milieu de la pièce la terrible machine qui causait tout ce bruit. Notre alpha était placé devant, l'observant avec intérêt, tandis que le professeur - dont la barbe mal coupée était un spectacle affligeant - tournait autour de son invention, les bras toujours en mouvement pendant qu'il ensevelissait son interlocuteur de quantités d'informations.

Le voleur d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant