La Ceinture Nikodim

On faisait cercle autour d'Alexandre Friedmann, se divertissant d'écouter son histoire rocambolesque tout en rigolant de ses envolées. Le jeune étudiant avait à cœur de partager cette épopée et ne ratait pas une occasion de vivement réprimander chaque remarque ayant pour but de rendre son récit absurde ou dénué de sens.

"Je ne vous raconte pas d'histoire ! Cela paraît peu probable mais j'ai vécu tout ce que j'argumente aujourd'hui devant vous. Nikodim n'est point un illustre astronome je le conçois mais son histoire vous laissera sans voix !"

Même parsemé de sourire narquois, l'assistance ne pouvait s'empêcher de laisser leur curiosité s'imposer. Des voix nauséabondes s'échappaient tout de même parmi la dizaine de personnes présente : " Crache le morceau Friedmann ! L'ennui nous guette !" ou encore "Alors ! Qu'est ce que ce vilain canard à fait de si remarquable ?!". Ces aboiements s'élevaient pourtant à peine qu'ils se faisaient abattre par une nuée de "chut!" et de râles d'impatience. Le jeune homme profita donc d'un moment de silence pour se racler la gorge et commencer :

"J'élève maintenant Nikodim depuis des années, je l'avais recueilli sur le rivage du Néva et depuis il m'accompagne partout. Dans les premiers temps je ne pouvais le garder dans ma chambre car le règlement de l'Université nous y interdit, j'ai donc dû le confier à mon ami Igor le temps de trouver un subterfuge. Une fois la justification acquise j'ai pu recueillir le héro du jour et lui offrir une grande cage comme foyer. Je place très souvent cette dernière proche de ma fenêtre pour qu'il puisse profiter d'un air frais."

Soudainement une voix retentit au sein de la foule :

" Nous n'avons que faire de ces détails, viens en au fait !

- Vous devriez être plus patient Dimitri. Répondit Friedmann l'air agacé.

- Et je peux savoir pourquoi un simple canari mériterait ma patience ?

- Car contrairement à la bouteille de vodka que vous avez l'impatience de rejoindre, cette histoire risque fort de vous rendre intelligent."

Cette vive remarque fut ponctuée de rire gras et moqueur pour le jeune Dimitri qui ne souffla mot par la suite. Alexandre pu donc continuer :

"Les jours passaient donc pour moi et mon fidèle compagnon jusqu'au jour où ce dernier disparu. Je vous avoue que cette nouvelle ne me laissa pas insensible cependant ma carrière scientifique prévaut sur tout le reste, même sur ce cher Nikodim. Deux mois passèrent avant que je ne reçoive une lettre venant de

Moscou : Mon vieil ami Igor qui avait déménagé peu après avoir gardé Nikodim, vient aux nouvelles.

Il me parle de la beauté de la ville, de son modeste appartement et d'une voisine qu'il veut inviter à danser à défaut d'autre chose. Ce qui n'est malheureusement rien d'incroyable comparé à la dernière nouvelle qu'il me transmet : il a retrouvé Nikodim dans le lac bordant son appartement !

Au pied de la lettre, Igor signale que le canari n'a pas bougé du lac depuis des jours et m'indique donc qu'il projette de le récupérer pour me l'envoyer. Je me suis pressé de lui envoyer mes remerciements et je me suis ensuite armé de patience.

Malgré tout, les jours et semaines passaient avec le postier sans pour autant apporter Nikodim dans leurs bagages. Je m'étais même pris d'habitude de me balader au bord du Néva pour fantasmer du retour de mon ami à plume et je n'aurais jamais pu imaginer que je retrouverais ce dernier barbotant à l'endroit exact où je l'avais recueilli, pourtant c'est arrivé !

J'étais heureux mais surtout circonspect de la prouesse de Nikodim. D'autant plus que quelques jours après ma découverte, j'ai reçu la missive d'un Igor gêné et triste m'apprenant que le lac bordant son appartement fut vide à chaque fois qu'il voulut y trouver Nikodim.