Considérer la littérature comme correction du regard ou recentrage du point de vue. L'admettre comme effacement méthodique de préjugés. La reconnaître comme dépassement d'un conditionnement figeant la perception humaine dans une confortable torpeur et faisant admettre réel ce qui n'existe pas ou ce qui n'est que dans l'imaginaire inquestionné des foules. La littérature comme porte d'accès au vrai, rétablissement ou affinement du discernement. Comme direction vers l'individu qui dort en nous, qu'il faut tirer de son reposant sommeil, au détriment de notre oublieuse pièce de troupeau. La littérature et les Livres : révélations successives vers un paradigme nouveau. Écrire ou lire : viser l'original et l'inédit. Tout le reste n'est que décoration et vantardise ; tout le reste n'est que mondanité et divertissement.
Alors, de toutes les littératures possibles, élire celles qui pourfendent les illusions dominantes, ces illusions qui, sises au sommet des représentations sociales et morales, en déterminent beaucoup d'autres. Si l'on a le choix, si l'on sait où chercher, hiérarchiser la littérature selon ce qui invalide ou vérifie la réalité d'une somme de conceptions, d'une grande somme de contenus d'autres livres. Faire ainsi l'économie de tout texte qui se subsume dans une autre œuvre, comme une question de priorité quand on manque de temps. Or, l'existence est une course à l'édification : s'aviser d'être le moins stupide en franchissant la ligne d'arrivée, de manière au moins à n'avoir pas seulement cru courir. C'est pourquoi je crois qu'il faut toujours commencer par installer ou réviser les infrastructures de la pensée.
Et justement, la médecine, en ce siècle, profite illégitimement du bénéfice-du-doute, et elle se constitue largement comme consensus irréfléchi et supérieur, déterminant et conditionnant maintes pensées et d'une façon morale, c'est-à-dire d'une manière largement transversale et conséquente. Le Contemporain la considère toujours le témoignage d'un summum d'accomplissement scientifique, il y trouve la confirmation du glorieux mythe de la valeur humaine, et il a foi en elle, il a besoin de lui accorder sa foi, parce qu'elle représente le point d'excellence du Progrès où il pense se situer, c'est-à-dire de toute l'évolution humaine où il se croit méritoirement compris. Puisqu'il n'accepte pas d'être rien, et puisque son œuvre est manifestement courte et dérisoire, il préfère qu'elle s'inscrive dans une dimension collective qui, elle, peut le valoriser d'un certain grandiose, même s'il n'y a pas contribué personnellement : il se trouve soudain du mérite, il se sent appartenir à un vaste destin, celui non d'un individu mais d'une société ou même d'une civilisation qui n'a pourtant que faire de sa prétendue participation, si minuscule et insignifiante en effets, mais à laquelle il se croit contributeur tandis qu'il n'en est que témoin passif. Et c'est notamment parce qu'il estime d'emblée la médecine comme un haut degré symbolique de perfectionnement qu'il s'empêche de reconsidérer la valeur de la modernité à laquelle il s'assimile en vertus : le développement des sciences, et en particulier de celles dont les effets concrets et visibles persuadent le mieux de leur efficacité en les établissant à une échelle quotidienne et « constatable », parmi lesquelles les sciences pathologiques, contribuent à installer le Contemporain dans la foi presque aveugle en l'ère miraculeuse et salutaire, ressentie comme providentielle et nécessaire, des savoirs et des technologies non seulement dans laquelle il vit mais pour laquelle il vit. Non qu'il sache au juste en quoi consiste par exemple la médecine ou tout ce qui dépasse sa capacité et dont par délégation républicaine il refuse de s'informer, non qu'il ait la moindre idée d'un principe scientifique en matière de physiologie ou d'étiologie, mais il ne s'abstient pas de trouver évidemment qu'ici et là des malades guérissent, et ce constat suffit pour lui communiquer une fierté indue et l'empêcher de révoquer la grandeur de la sorte de magie blanche en quoi consiste le passage d'un état désagréable à un état de joyeuse humeur qui caractérise stéréotypiquement la bonne santé.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
No FicciónDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.