CHAPITRE IX - JULIAN

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"L'Éternel est près de ceux qui ont le coeur brisé, Et il sauve ceux qui ont l'esprit dans l'abattement."
Psaumes 34:18


— Mais c'est formidable !

— Ne nous emballons pas.

Face à l'état euphorique de Frère Paul, j'essaye de calmer le jeu. Savoir que ce projet touche à sa fin grâce à un personnage aussi ignoble que Wyatt Moore ne m'enchante que très peu, personnellement. Je ne veux pas être en contact avec ce type. Je ne veux pas le voir. Je ne veux pas en entendre parler. Et pourtant, oui, grâce à lui, l'orphelinat St. Thomas va avoir droit à ses rénovations de haut niveau. Mais passons ce détail, disons simplement que le but du projet est atteint.

— Vous avez rendez-vous à quelle heure ?

— D'ici une heure. Mademoiselle Buekens souhaite me voir en personne et en discuter. Je me chargeais simplement de la cagnotte, ce sont des professionnels qui prennent le relais maintenant.

— Des professionnels ? s'étonne Frère Paul.

— Oui, enfin... Mademoiselle Buekens et l'assistante sociale de l'orphelinat vont tout mettre en œuvre pour faire appel aux sociétés dont l'établissement a besoin. C'est dingue, je n'arrive pas à y croire. C'est un aboutissement incroyable, soufflé-je.

Frère Paul acquiesce et me tapote le dos. Je grogne intérieurement. La douleur me consume jusqu'à l'os même si toutes mes blessures sont désinfectées.

— Je vous laisse, lance-t-il en frappant des mains. Je suis fier de ce que vous avez accompli, mon Père.

Je lui souris et il quitte le studio en chantonnant. C'est un de ceux que je préfère, Frère Paul. Un homme incroyablement gentil, doté d'une capacité rare qui est celle d'écouter les autres.

Un ami.

Une fois certain d'être seul, je boutonne les deux derniers boutons de ma chemise, enfile mon veston en cuir et sort à mon tour, sans oublier d'enfiler mon chapelet. Il ne me quitte plus, je veux qu'il touche ma peau à chaque moment de la journée et de la nuit. C'est comme un attrape-rêve. Il balance mes mauvaises pensées à la poubelle et me rassure. Notre discussion téléphonique, avec Wyatt, n'a pas été de tout repos. J'ai perdu mes moyens et l'ai ensuite traité d'idiot à plusieurs reprises. Il riait. Je m'en souviens parce que ce son m'a parcouru les veines de manière intempestive. Mais il riait... et parlait de ce magnifique projet comme si ça lui tenait réellement à cœur. Je ne sais pas encore pourquoi il a fait ça, mais je jure devant Dieu que je le découvrirai bien assez tôt. Un être aussi abominable ne peut pas penser aux enfants. Ce serait l'hôpital qui se fout de la charité.

La neige a repris en cette fin du mois de janvier. Je suis content d'avoir acheté cette veste doublée. Elle me coupe du froid... mais pas partout. Lorsque j'entre dans la voiture, il me faut bien dix minutes avant de me réchauffer les mains. Je prends la direction de l'orphelinat, sur la voix apaisante de Janis Joplin. Qui a dit que les prêtres ne pouvaient pas apprécier la bonne musique ? J'en écoute tous les jours. Je ne pourrais pas vivre sans les bons groupes de rock, ou même de folk. Je suis très éclectique, c'est un avantage. Mais la vérité c'est que je ne pouvais pas écouter de rock durant mon adolescence. Mes parents ont toujours été très pointilleux, très religieux. Pour eux, le rock était l'hymne de Satan. Je n'ai jamais trouvé ça très juste, et j'en écoutais en cachette. Aujourd'hui, je suis prêtre et me rendre à un concert du genre ne me dérangerait absolument pas.

Je me gare sur le parking face à l'orphelinat. Le voir dans cet état me fait mal au cœur, il manque pas mal de brique, le toit fuit et les graffitis emplissent les murs. Mais aujourd'hui, je suis heureux car c'est le premier jour du changement. Bientôt, les enfants seront dans un établissement propre, suffisamment chauffé et agréable à vivre. Je sors et me dépêche de traverser la chaussée. Les doigts déjà gelés, je sonne et on m'ouvre directement. La secrétaire de mademoiselle Buekens m'accueille gentiment et m'emmène à l'étage.

GOOD BOYS GO TO HELLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant