Après la pluie

30 | Ouvre les yeux

— J'espère que tu plaisantes ! m'exclamé-je, découvrant le moyen de transport qu'il a choisi pour nous amener à l'hôtel.

Très amusant, vraiment !

— Je ne pouvais pas deviner que tu aurais peur de l'avion ! me raille-t-il en ouvrant la porte.

Pour tout vous dire, je l'ignorais aussi. N'étant jamais monté dans l'un d'entre eux, je n'avais pu anticiper ma panique lors du décollage. Un moment excessivement gênant, si vous voulez mon avis. J'avais pris soin de choisir un siège éloigné de celui de Luke car sa proximité me perturbe davantage – si tant est que cela soit possible – depuis qu'il a compris que j'habite l'antre de Satan contre ma volonté. Il est... je ne saurais comment vous le décrire... imperceptiblement différent. Plus doux, je dirais. Légèrement moins arrogant. Comme s'il me considérait d'une nouvelle manière. Sous un autre angle. Crispée, je l'ai pourtant prévenu que je ne voulais aucune pitié, mais il s'est contenté de rétorquer qu'il ne connaissait guère ce sentiment.

Bref.

Mon cœur bat bien trop vite – encore plus, oui – lorsqu'il est proche, donc j'ai pris la décision de demeurer à une distance sécuritaire. Car s'il se comporte ainsi sans cesse, nos petits jeux – si eux perdurent – risquent de mal tourner, voyez-vous. S'il ne me reste rien pour le détester, ne vais-je pas finir par l'embrasser en dépit du bon sens ? Je ne suis aucunement prête à courir ce risque stupide, que ce soit clair entre nous. Sauf que mon regard on ne peut plus éloquent lorsque le jet a pris de la vitesse – m'empêchant littéralement de respirer – l'a obligé à me rejoindre pour enlacer ses doigts aux miens, faisant voler en éclats ma résolution à peine prise. Je voulais qu'il le fasse. Étais soulagée qu'il l'ait fait. Ai-je malgré tout planté mes ongles dans sa peau ? To-tale-ment. J'ai cherché à serrer mon pendentif par habitude, sauf que je l'ai rangé dans ma boîte à bijoux de peur de l'abîmer. Ayant désormais conscience qu'il peut me trahir, aussi. L'hôtesse a-t-elle eu l'air contrarié par ce rapprochement ? Oh. Que. Oui. Mais tant pis pour elle, de toute façon je ne l'aime pas. Évitez de me demander pour quelle bonne raison par contre, merci. Puisqu'il n'y en a aucune.

Pu-naise.

Elle a gardé ses lèvres pincées, d'autant que je n'ai pas lâché – ou presque – le séduisant second de Lucifer de tout le vol. Qui a duré presqu'une journée entière, dites-vous ? Je. Sais ! C'était irrationnel, voilà tout ! Mais cela n'a rien à voir avec la façon dont la jolie blonde lui a tourné autour quand nous sommes montés à bord, non non. Du. Tout. J'étais juste morte de peur. Un homme peut-il être à la fois le petit frère du diable et bon ? Je n'irai pas jusque là. Cependant, force est de constater qu'il peut malgré tout être doté d'une patience d'ange lorsqu'il le décide, m'épargnant les remarques désobligeantes – hélas ? – allant jusqu'à regarder un dessin animé en ma compagnie – Les noces funèbres de Tim Burton – de bonne grâce en mangeant des cookies. Improbable, n'est-ce pas ?

Mon. Dieu.

Évidemment – inutile de rêver non plus – il n'a nullement pris la peine de s'empêcher de me provoquer lorsque j'ai attrapé mon courage à deux mains pour prendre une douche – seule, donc – ni d'émettre un commentaire sur mon parfum vanillé lorsque je l'ai instinctivement rejoint en sortant. C'est absurde, nous sommes d'accord. Il ne sait en aucun cas voler toutefois sa proximité me rassurait quand même. J'ai d'ailleurs fini par m'endormir contre son épaule et ai émergé dans le grand lit de la chambre au fond de l'avion, troublée qu'il ait eu la délicatesse de m'y amener tout comme par l'idée que cela ne m'ait pas réveillée. Au bout du compte, j'ai fermé les paupières pendant l'atterrissage, incapable de retenir un cri lorsque nous avons – enfin – touché terre. Cette fois il a ri pendant que je lui adressais une œillade assassine avant de soupirer de soulagement. Le calvaire était terminé et j'avais cinq jours devant moi sans avoir à remonter dans cet effrayant engin. Du moins l'ai-je cru pendant quelques minutes.