Chapitre 1: Un homme à la mer

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POINT DE VUE DE SHAN

JOURNAL INTIME (J.I)
Dimanche 15 décembre 20XX

Comme tous les dimanches matin, je devais me lever pour aller pêcher. Même si ce dimanche est un peu plus spécial.
Oui. Tous les dimanches. Chaque matin, d'aussi longtemps que je m'en souvienne, du haut de mes 17 ans. Il faut croire que c'est une coutume lorsque votre père est le plus grand marin, le doyen et guide de la pêche, surnommé le Sage du Poisson, homme populaire du village.
Je n'ose et ne préfère même pas mentionner cet endroit qu'on peut qualifier de « paumé », endroit où je vis et où j'ai grandi. D'ailleurs, à quoi cela servirait-il ? Je n'écris que mes pensées dans ce vieux journal. Qui lira mes mots ? De toute façon, je le fais seulement parce que mes 18 ans approchent et que j'ai toujours voulu marquer le coup ! Avoir une trace de mes derniers instants d'adolescent.
Bref.

Est-ce que je peux être honnête, Journal ? Mes pensées les plus profondes, sombres et intimes peuvent-elles reposer en toi ? Si oui, voici ma première confession : je déteste la pêche, les poissons et la mer.
Alerte au scandale, bousculement dans tout le village; il y a un criminel ! Le fils du grand Jason mépriserait-il la chose la plus sacrée au monde ?! (drôle de pensée égocentrique pour un village perdu...) Au drame ! Tragédie ! Qu'on lui coupe
la tête !
Voilà, c'est dit. J'ai en horreur tout ça. Mais j'aime mon père. Et pour lui c'est si important. Encore plus depuis le décès de maman, qui, nous a tous les deux... secoué.
     Je suis sa seule famille maintenant. Il est la mienne. Alors oui, je hais la pêche; mais son sourire... sa passion lorsqu'il me partage cela. Si je peux lui procurer ne serait-ce qu'un peu de joie, je me dois de le faire. Je l'ai promis.

Bon, assez écrit; commençons cette journée.

POINT DE VUE DE SHAN (hors J.I)

« Salut mon grand ! Prêt pour le grand jour ?
     Papa est là, assis dans la pénombre du matin, quelques débuts de rayons de soleil chatouillent sa peau. Il a l'air tellement content.
— Tu te sentais comment toi ? Pour ta grande première ? je lui demande un peu gêné en me grattant la tête.
— Ah, si tu m'avais vu... Tu ne me croirais pas ! J'avais un gabarit beaucoup moins imposant que le tien et je tremblotais. Mais la passion qui vivait en moi, m'a aidé à surmonter ma peur, et me jeter à l'eau ! Sans jeu de mots !
— Ha ha, la passion... ouais. Bon, on y va ?
Il est pensif, et marque un temps de pause avant de me répondre :
— Allons-y mon fils, allons-y ! »

     Je marche en direction de la porte et lorsque je me suis apprêté à l'ouvrir, une main ferme m'a retenu.
Qu'est-ce que ? Quelque chose s'est glissé dans ma main.
« Tiens mon grand. »
C'est... un collier ?
     Un collier en or à la chaîne simple, habillé d'une perle dans un coquillage. Sa beauté est pure.
     Ma respiration s'accélère. Mon cœur bat vite. Si vite. Mais pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi est-ce que la découverte de cet objet, qui m'était inconnu il y a quelques secondes, me procure une émotion tellement forte. Insaisissable. Ébranlante. Me causant euphorie et chagrin à la fois. Pour quelle raison ?

« Ce collier, dit-il ému, était à ta tendre et magnifique mère. Elle tenait à te le transmettre en ce jour si spécial pour notre famille. Pour moi. Pour elle. Pour toi. Prends-le, il te portera chance. »
Son regard se porte sur le sol, les larmes se battant pour ne point couler. Il me regarde dans les yeux, et sans même que je ne m'en rende compte, le collier se retrouve autour de mon cou. Je suis comme, sous le pouvoir et le charme de ce dernier. Capturé et prisonnier de ce moment chaleureux, doux et précieux, échangé entre mon père et moi, que je chérirai à jamais. Il poursuit.
« Ta mère aimait dire que cet objet avait un pouvoir magique, dit-il avec un faible sourire sur les lèvres, accompagné avec tant de mélancolie.
Je me moquais d'elle et la taquinais, disant que ce n'était qu'un simple objet et que les choses surnaturelles et fantaisistes n'existaient pas. Elle s'offusquait sans vraiment être fâchée contre moi, me disant que j'étais ignorant et fermé d'esprit, et qu'un jour, je verrais qu'elle avait raison. », il marque une pause théâtrale puis reprend :
— Ce jour n'arrivera plus maintenant. Mais elle croyait au plus profond de son cœur qu'il y avait une puissance cachée en ce collier. De toute son âme. Aujourd'hui elle n'est plus, et je veux croire que, ce collier porte le tiers de ce qu'elle voyait en lui. Bon. Assez parlé ! Je t'accompagne maintenant Shan. Le jour de ta grande rencontre avec les eaux a lieu aujourd'hui ! », coupe-t-il rapidement.
     Il ne veut pas me le dire, mais je sais que pour lui aussi, le moment fut émouvant.

Grande surprise en arrivant au port.
     Premièrement, il n'y a pas autant de monde que d'habitude. Certes, nous sommes dans un petit village, mais je reste étonné. C'est comme si la nature même était trop fatiguée pour être présente aujourd'hui. En tout cas, j'espère que les poissons répondront présents, eux, comparés aux mouettes. D'ailleurs, tant mieux. Au fond de moi, j'ai un peu peur des oiseaux...
     Le deuxième point bizarre, c'est la météo. C'est vrai que nous sommes en décembre. Pourtant, ce dimanche devait être le plus ensoleillé du mois.
     Peut-être je m'inquiète un peu trop; le soleil tape encore, malgré le fait qu'il semble être aspiré par des nuages couvrants et imposants, préparant un coup d'état afin de devenir maîtres des cieux...
J'ai un mauvais pressentiment.
     Argh, je m'inquiète encore trop... Pourvu que le temps ne se dégrade pas.

     Je ne sais pas vraiment comment je me sens.
     Stressé ? Un peu. Qui aurait envie de rester seul du matin au soir au large pour pêcher, contraint à cause d'une tradition dans votre famille de pêcheur qui se perpétue de génération en génération.
     Excité alors ? Même pas un peu. La pêche, ce n'est pas mon truc. Ni ma passion, loin de là. La mer, quant à elle, ne m'effraie plus qu'elle ne m'ébahit.
     Peur ? Joie ? Anxiété ? Je ne le sais. La seule chose marquée en moi est cette mystérieuse et indescriptible émotion que m'a donné ce collier, qui maintenant, je le sens, fait partie de moi. C'est elle qui va m'accompagner dans ce petit périple.
Une chose est sûre : j'ai hâte que cette journée se termine.

Ça y est, il est l'heure de se dire adieu. Le moment venu de me passer officiellement le flambeau.

« Shan... Je suis si fier de toi. Si fier de cet instant. Si fier de t'avoir transmis ma passion et celle de nos ancêtres, pour le poisson, l'aventure et la pêche !
Maintenant, tu vas aller seul en mer, avec peu de choses. Tu verras : jamais tu n'oublieras cette expérience fantastique et poignante de ta vie. Crois-moi.
Va mon fils. Pars affronter ta destinée et savourer ce tête-à-tête avec cette femme énigmatique que l'on appelle la mer. Je sais que je ne te le dis pas souvent fiston, mais; je t'aime. »
Il me prend dans ses bras. Me tapote sur le dos. Et d'une voix tentant de camoufler l'émotion qui le gagne, il continue :
— Allez, va ! C'est le temps d'affronter ton destin. »

Après nos aurevoirs touchants, c'est maintenant ou jamais : mer, me voici.

Par-delà des eauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant