Elle avait prononcé les derniers mots les dents serrées. La pilule ne passait pas. J'expliquais ma conversation avec le docteur Khan grâce au saphir étoilé. Comme je m'y attendais, Kris perdit contenance au fur et à mesure que je débitais mes paroles. Son teint avait viré au gris et ses yeux glaciers s'étaient assombris comme le fond des abysses. Le Tri à 16 ans et l'enrôlement forcé dans l'armée, l'impossibilité de fuite par le dôme... J'omettais cependant d'évoquer ma résistance au sérum d'oubli dû à ma semi-humanité et mon départ prochain.
— Mais ça ne vous arrivera pas, car il reste deux ans pour vous trouver une porte de sortie, conclus-je.
Je détestais mentir, je ne faisais que jouer avec les mots.
Je vous le promets.
Et la première chose que j'allais faire, c'était de disparaître. Aucun d'eux deux n'allait plus attirer l'attention de qui que ce soit.
Quelque chose s'agitait devant mon visage. Je sursautais avant de reprendre contact avec la réalité.
— Allo, Saya? Ici Kristopher, on te parle.
Ce nom débile m'arracha un rictus.
— Ce que nous disions, c'était que nous devions vraiment réfléchir à un plan pour nous évader, intervint la douce voix de l'elfe à mes côtés.
Elora se saisit de la main de Kris, pour qu'il arrête de la gigoter dans tous les sens. Aussitôt qu'elle se rendit compte de son geste, elle rougit jusqu'aux pointes de ses oreilles et s'écarta précipitamment.
— Je te fais du charme?
La jeune fille l'ignora tandis que je faisais mine de n'avoir rien entendu.
— Ce n'est pas le moment, dit-elle avec fermeté. Je n'arrive même pas à croire qu'on se disperse autant alors que l'heure est grave.
A qui le dis-tu.
Kris grommela dans sa barbe un "Elle à pas dit non..." avant de reprendre du sérieux.
Je crois que c'était vraiment sa méthode à lui pour décompresser de tout tourner à la dérision et de paraître nonchalant.
— Je propose qu'on réfléchisse à la marche à suivre chacun de notre côté et on se retrouve demain pour en parler, ajouta Elora après un moment de silence.
— Faisons comme ça, répondit Kris en hochant la tête. J'avais une dernière chose à vous partager avant que nous nous séparions...
Le garçon fouilla sa poche et en sortit une petite sacoche. Il avait piqué ma curiosité. Précautionneusement, le sahel dénoua le lien la fermait et trois billes brillantes d'un faible éclat roulèrent dans sa paume. Chacune d'entre elles était reliée à une sorte de chaînette en métal d'une vingtaine de centimètres.
— À défaut de pouvoir venir vous voir, j'ai pu avancer sur un projet qui me tenait à cœur. Ces pierres sont façonnées et gravées, un peu comme le saphir étoilé de Sam, mais je n'ai pas suffisamment de talent pour produire un objet aux propriétés aussi complexes...
— Attends... Tu veux dire que c'est toi qui as fait ça? demandais-je en saisissant celles aux tons gris.
J'étais comme hypnotisée par son miroitement. La perle était simplement magnifique. Je repérais les courbes finement découpées dans la surface polie. Elles n'étaient pas aussi parfaites que celle du saphir sous mon oreiller, mais elles étaient loin d'être grossièrement réalisées.
Kris acquiesça avant d'enchaîner.
— La seule chose qu'elles ont de spéciale, c'est qu'elles se mettent à briller lorsqu'elles sont à proximité de l'une ou l'autre de leur sosi. Je... Je ne sais pas trop pourquoi je les ai faites, mais je me disais que ça vous ferait peut-être plaisir? Je les ai montées sur des bracelets.
Le garçon rougit — chose rare —, et ajouta précipitamment
— Enfin, rien ne vous oblige à accepter bien sûr! Si vous ne les voulez pas, je ne me vexerai pas!
— Mais tu rigoles? Je suis subjuguée par ton âme d'artiste! Je ne te pensais pas minutieux comme ça!
— Eh! s'insurgea le jeune garçon. Puis il se tourna vers Elora en attente de se réaction.
— C'est vraiment pour nous? souffla-t-elle. Elle avait les yeux rivés sur la pierre verte, mais n'osait la saisir.
Pour toute réponse, Kris détacha l'attache et tendit le bijou vers le poignet de l'elfe. Avec une grande délicatesse, il le lui ajusta avant de faire de même avec le mien, puis le sien. Je remarquais qu'il avait choisi avec soin les couleurs. Toutes s'accordaient avec la couleur de nos iris. Bleu transparent pour lui, grisâtre aux reflets azur pour moi, et enfin vert profond pour Elora.
— Comment as-tu su t'y prendre? demanda cette dernière.
— Tu n'es pas la seule à avoir fait des recherches sur les pierres ciselées. La bibliothèque de la zone sud-est assez bien servie en ouvrages traitant de ce sujet...
Au-delà de la manière de graver les matériaux, je voulais lui demander où il avait trouvé de telles roches, mais quelque chose m'en empêcha. Je ne pensais pas qu'il avait fait l'idiot ce coup-ci. J'étais même convaincue du contraire.
— Merci, bredouillais-je finalement les larmes aux yeux.
Son cadeau avait pour moi une valeur inestimable. Surtout lorsque je serai partie demain. Je ne savais pas où je ne serai dans vingt-quatre heures ni même s'il fallait que je m'évertue à vouloir survivre une fois dehors. Du moment que mes amis ne couraient plus de risques ici entre les bonnes mains de Sam en qui j'avais totalement confiance. Il veillera sur eux jusqu'à ce qu'il puisse les faire sortir en toute sécurité. La perle ne brillera plus jamais à partir de demain matin, mais elle me tiendra compagnie dans les moments difficiles.
VOUS LISEZ
OtherWorld - 1. Et cognoscetis veritatem
FantasyL'OtherWorld est en guerre depuis plusieurs dizaines d'années. Les enfants ayant perdu leurs parents sont envoyés dans un orphelinat où ils peuvent étudier jusqu'à leurs 16 ans. Sayana n'a aucun souvenir d'avant son arrivée à l'établissement alors...