[ Inter chapitre N°2 ]

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Il faisait beau, ce jour-là. Il faisait encore un peu frais et j'hésitais à attraper une écharpe avant de partir au travail, certes, mais le soleil brillait, les bourgeons s'ouvraient et les oiseaux avaient fait leur grand retour. Même les nouvelles du monde, sur lesquelles je n'avais pas trop envie de m'attarder, n'étaient pas trop plombantes.

Cette journée-là de travail s'annonçait fructueuse et j'étais certain de la réussite des dossiers que je trimballais sous mon bras. La soirée promettait d'être encore meilleure. Cela faisait des semaines que nous avions commandé ces billets pour la première de Faust, avec Natasha et Macha. Cette dernière était étonnante, à bien aimer l'opéra. Elle ne comprenait pas tout, mais elle était émerveillée par les décors ainsi que les costumes et aimait écouter ces belles voix. Cette soirée allait être parfaite pour célébrer notre anniversaire de mariage, à Tasha et moi.

Mais la soirée n'a pas été parfaite du tout.

Pour commencer, ma dernière réunion s'était éternisée. En dévalant les escaliers parce que l'ascenseur bondé était trop lent, j'avais enfilé mon manteau d'une main et appelé ma femme de l'autre pour la prévenir de prendre le chauffeur car j'allais être en retard, tout en essayant de ne pas finir au bas des marches en roulant.

Arrivé dans la rue passante, j'avais levé mon journal en l'air pour arrêter un taxi, même si ma haute taille me donnait déjà un avantage considérable sur mes adversaires. Il m'avait fallu payer plus cher le taxiste pour qu'il trace directement au théâtre, sans perdre de temps en s'arrêtant pour faire monter quelqu'un d'autre, mais cela m'importait peu. Je devais arriver à l'heure pour ma femme et ma fille.

La voiture avait enfin remonté la rue, ma destination était proche.

C'était sans compter sur les sirènes d'ambulance et de police ainsi que sur les voitures de patrouille et les officiers qui avaient décidé de nous barrer le passage. Surpris, j'avais appelé Natasha pour savoir si elle avait finalement pu atteindre le théâtre ou non. Ne recevant aucune réponse, je m'étais rassuré en me disant qu'à l'intérieur de la loge, elle ne pouvait peut-être pas décrocher, occupée avec une connaissance, ou ayant déjà fait basculer son smartphone sur silencieux pour ne pas être dérangée.

Les sourcils inquiets malgré tout, j'avais demandé au taxiste de prendre un autre chemin pour aller au théâtre. Celui-ci m'avait répondu que c'était impossible, que toutes les voies y menant étaient barrées. Sentant l'appréhension qui envahissait mon corps monter en flèche, j'avais payé l'homme sans récupérer ma monnaie et m'étais précipité hors de l'habitacle, direction le cordon de sécurité.

Un jeune homme, dont le badge informait sur son identité à sa place, m'avait immédiatement arrêté. Le policier m'avait expliqué que personne ne pouvait franchir le périmètre à cause d'une arrestation de cambrioleurs notoires qui avait mal tourné.

Tout le quartier était bouclé.

Je ne m'étais pas démonté, expliquant à ce représentant de l'ordre que j'étais censé rejoindre ma femme et ma fille pour une première, mais qu'elles ne me répondaient pas au téléphone. Comprenant mon inquiétude, le policier m'avait proposé son aide. Après avoir observé une photo d'elles, prise quelques mois plus tôt lors de vacances à Nice, il était parti en prospection.

J'avais rapidement accroché du regard notre voiture, un SUV noir rutilant. Après avoir – sans ménagement – bousculé quelques personnes et zigzagué entre les voitures se trouvant sur mon chemin, j'avais ouvert en grand l'une des portes arrière. Notre chauffeur avait sursauté comme si un bandit était apparu pour lui placer son revolver sous le nez, mais il m'avait assuré que « Madame et Mademoiselle » étaient sorties depuis un moment déjà pour atteindre le théâtre à pied, à cause des embouteillages.

Les nerfs à vif, j'avais violemment refermé la portière pour grimper les marches menant au théâtre, me fichant pas mal des contre-indications des policiers, laissant le jeune agent expliquer la situation à ma place.

À l'accueil, personne n'avait récupéré nos tickets. Natasha et Maria n'étaient jamais arrivées jusque-là. En ressortant du bâtiment, j'étais resté un instant à observer les environs du haut de la volée de marches en pierre. Le jeune policier était arrivé avec quelques collègues. Ensemble, nous avons entrepris des recherches de plus grande ampleur.

Je me souviens encore de mes muscles et de ma gorge brûlants à force de courir en tous sens alors que je passais au peigne fin chaque rue et chaque ruelle, reliées entre elles pour former un labyrinthe qui semblait se moquer de moi. Puis, mes pieds s'étaient figés d'eux-mêmes sur l'asphalte craquelé lorsque mes yeux avaient aperçu deux masses sombres, étendues sur le sol, au fond d'une ruelle, à ma droite. Je me rappelle encore avoir d'abord pivoté sur mes talons pour marcher d'un pas mécanique. Je ne voulais pas y croire, mais les sueurs froides coulant le long de mon échine semblaient chercher à me faire affronter la réalité à venir.

J'avais couru pour me jeter à genoux devant le corps fluet, inanimé, de ma petite Macha. Ne voyant aucune blessure qui puisse expliquer son état, je l'avais prise dans mes bras pour la réchauffer. J'avais crié pour qu'on vienne nous aider et j'étais allé près du corps, tout aussi statique, de Natasha. J'avais repoussé de mes doigts tremblants les mèches de cheveux blonds qui s'étaient échappées de sa tresse pour se répandre sur son visage blême. Sa peau était si froide, si dénuée de couleur... Ma main serrait fort la sienne, celle portant l'anneau de notre mariage. C'est là que j'avais senti un pouls. Un regain d'espoir m'avait pris au cœur. J'avais encore hurlé pour que les policiers m'entendent et viennent aider ma femme et ma fille.

J'avais supplié ma tendre épouse de rouvrir les yeux, pour notre fille, pour moi. Les longs doigts dans ma main avaient tressauté, me faisant comprendre que Natasha se réveillait.

— Ma Tasha, je suis là. Je suis là... Pardon, pardon... Ça va aller maintenant.

Son regard limpide, pour lesquels les enfants de sa famille étaient connus, avait croisé le mien. J'avais d'abord souri, sentant mes épaules soulagées d'un poids invisible et mon cœur battre plus régulièrement, mais ce dernier avait vite perdu son rythme égal lorsque l'incompréhension la plus totale s'était peinte sur le visage de mon épouse. Natasha aurait dû me sourire, paraître soulagée de me voir, pas étonnée de constater qu'un grand homme la regardait avec désemparement, une fillette dans une main et sa main, à elle, dans l'autre !

— Qui êtes-vous ? m'avait demandé Natasha avant de refermer les yeux.

C'est à mon tour de rouvrir les yeux, grands, un cri bloqué dans la gorge.

Foutu cauchemar.

Psy inutile.

Le plafond blanc m'accueille. Il faut un moment pour que mon cœur ralentisse, que les larmes se tarissent, que ma mémoire me rappelle où et quand je suis, que je m'extraie de cette affreuse réminiscence et que mon corps réponde à nouveau à mes ordres. Je me redresse en position assise dans le grand lit désespérément vide. J'essuie la sueur qui a perlé à mon front. Il n'y a que le vent du nord qui fait bruisser les arbres à travers la vitre pour accompagner le bruit de ma respiration, ainsi que le tic-tac incessant de l'ancienne horloge en émail qui m'indique trois heures trente-trois du matin. C'est tout ce que j'entends.

Les draps sont si froids ; la demeure, si silencieuse...

TRINITY - Tome 3 : Rencontre du troisième typeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant