Aleksi errait dans les couloirs, un rictus jovial aux lèvres. Il avait délaissé les autres mercenaires après avoir dîné en leur compagnie, dans une atmosphère joyeuse, légère. Il ne sentait presque plus son double empli de fureur et de haine en lui, ce dernier endormi quelque part dans son être, le laissant en paix et serein pour ce soir. Ce sentiment, cette illusion de bonheur l'enivrait mais il sentait au fond de lui qu'il lui manquait quelque chose. Il y avait comme un vide dans son cœur, un espace creux, où tournoyait une violente tempête, tout juste apaisée, toujours prête à éclater et à le submerger entièrement pour l'entraîner dans la folie. Il n'y avait qu'une seule chose capable d'empêcher le naufrage. La seule et véritable source de sa joie. Sa raison de vivre.
Par les fenêtres de la forteresse, pénétrait l'air doux et parfumé de la nuit. Les effluves de pins embaumaient le château tout entier. Ses pas l'avaient guidé jusqu'au sommet de la grande tour, là où résidait la duchesse. Comme toujours, il n'avait su résister à l'irrésistible attraction qu'elle exerçait sur lui, recherchant sa proximité, toujours appelé à la rejoindre, même lorsqu'elle ne le requérait guère.
Il s'arrêta devant l'entrée, barrée par une porte en chêne massive. Il faisait sombre à cet étage mais la serrure laissait échapper un trait de lumière. Il ferma quelques secondes les yeux, cherchant à éclaircir à ses pensées. Pourquoi était-il là ? Que voulait-il ? La réponse s'imposa à lui, toujours aussi évidente, toujours aussi douloureuse.
Elle.
Et même si elle s'offrait désormais à lui, du moins en partie, il ne pouvait s'empêcher d'hésiter. Il était encore temps pour lui de reculer, de retourner auprès des autres, d'oublier l'espace de quelques instants cette obsession délirante, son amour illimité et mortel. Mais il ne pouvait pas tourner les talons. C'était en dehors de ses capacités. Quand bien même Freyja l'avait prévenu le soir de son mariage, il avait enfin ce qu'il désirait. Même si ce n'était qu'une infime partie. Et il ne pouvait y renoncer.
Au moment où il allait enfin frapper, la porte s'ouvrit, dévoilant Mara, dont la silhouette divine se découpait dans la lumière des torches derrière elle. Le jeune homme se figea soudain, pétrifié sur place. Au creux de sa poitrine, son cœur accéléra la cadence, et une lave en fusion se déversa dans ses veines. Lui d'ordinaire si impassible cru que sa mâchoire allait s'en décrocher.
La Meravigliosa avait retiré les manches et le veston de soie de sa robe. Désormais elle n'était vêtue que de son corset rouge, par-dessus une très légère chemise en dentelle, et d'une longue jupe argentée, un châle pourpre jetée par-dessus ses épaules. Ses cheveux libérés de leurs entraves cascadaient sur ses épaules jusqu'à ses genoux, presque lumineux sous les feux des chandelles. Elle avait toutefois conservé son tour de tête et le rubis scintillait sur son front.
Les ombres de la nuit sculptaient sur son visage des traits plus saillant, jetant des tâches sombres sur ses joues, contrastant avec la clarté de ses prunelles. Le spectre ténébreux se projetait ensuite sur son épaule, glissant entre ses omoplates, épousant la forme de sa poitrine, un chemin que le mercenaire ne put s'empêcher de suivre, jusqu'à atteindre de son regard avide le siège de son plus cher désir, cette cage d'os et de chair qui enfermait le cœur qu'il convoitait. Avant de remonter brutalement au faciès de la duchesse qui l'observait, l'air pas le moins du monde surprise par sa visite nocturne et par ses yeux baladeurs.
S'arrachant à sa contemplation, Aleksi reprit aussitôt contenance, retrouvant tout son professionnalisme, et interrogea :
« Tout va bien ?
Dénouant une dernière natte dorée présente derrière son oreille, Mara lui offrit un de ces sourires narquois, le menton dressé en un geste digne, le toisant presque sous ses longs cils papillonnants.
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Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sang
FantasíaNul ne sait d'où vient la sublime duchesse Mara Meravigliosa, dont les appâts viennent troubler la cour de Navarie. Elle est arrivée un beau matin et n'est plus jamais repartie. Une arrivée que la reine voit d'un mauvais œil. L'ambitieuse Mara l'inq...