Intermède.

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Quatorze années plus tôt, palais ducal du cercle des Merveilles, Ihime, capitale de Rhün.

Le vent hivernal pénétrait par la grande porte du palais, s'engouffrant dans le hall, soulevant les capes des gardes occupés à échanger un verre dans l'entrée. Mara se crispa, ses doigts se refermant fébrilement autour de la rampe de l'escalier. Elle savait fort bien ce que ce courant d'air signifiait.

Il était rentré.

Figée en haut des marches, dans une robe d'un parme pâle, une grande ceinture marquant sa taille, elle observait de son perchoir le hall dans lequel se découpait la silhouette du Duc.

C'était un homme élégant, magnifique. À trente-six ans, son faciès était celui d'un guerrier mur, marqué par la sévérité, ses yeux mordorés si semblables à ceux d'un rapace affamé. Des boucles dorées tombaient autour de ce visage marqué par le temps et que le démon préservait tout de même. Tout chez lui trahissait sa distinction, mais aussi, dans son air calculateur, l'intelligence froide et cruelle dont il pouvait receler, trahit par l'éclat sournois et dominateur de ses prunelles.

Une épaisse cape jetée sur ses épaules, il tapa des bottes au sol afin de se débarrasser de la neige qui s'y était incrustée avant de balayer l'intérieur de son palais du regard.

Il s'arrêta en tombant sur sa jeune épouse.

Un instant, ils se toisèrent. Bleu contre or.

Avant qu'elle ne tourne le dos, baissant du regard la première. Au moment où elle se détournait, le rictus fier et sardonique que son mari esquissa ne lui échappa qu'elle. Elle le connaissait par cœur. Il hantait ses rêves les plus sombres. Mais toujours drapée dans sa dignité, en parfaite duchesse du cercle des merveilles, elle rejoignit ses appartements, sentant parfaitement peser sur elle le regard prédateur du duc. Un frisson dévala son échine. Mais au fond de sa poitrine, reposait un espoir qu'elle peinait à faire taire et qui insufflait à son être tout entier l'énergie de poursuivre cette mascarade mortelle.

Lorsqu'il pénétra à son tour dans la chambre conjugale, la jeune femme se trouvait devant la coiffeuse, en robe de chambre, brossant ses longs cheveux blonds dénués. Elle se figea imperceptiblement lorsque l'image de son époux apparu dans le reflet de la glace. Avant de reprendre son geste, comme si tout était normal, comme si une tempête ne faisait pas rage en cet instant dans son cœur et qu'un poids glacé reposait au bas de son dos, sous le satin de sa chemise.

« Bonsoir Mara.

— Monseigneur, répondit-elle, passant le peigne dans une mèche dorée cascadant sur son épaule, dissimulant la raideur de ses gestes.

Elle l'observa à travers le reflet, tandis qu'il ôtait ses bottes et sa cape, dénouant la ceinture qui tenait son pantalon. Malgré son expression neutre et impassible, elle bouillonnait intérieurement, tendue à l'extrême. Pourtant, elle se devait de donner le change, de jouer comme toujours la plus parfaite comédie et d'être, en somme, tout simplement merveilleuse.

Son regard se posa un instant sur le rubis à son doigt, luisant lentement, dégageant de faibles vagues de chaleur qui se répandait dans tout son être. Elle y puisait toute l'énergie et le courage possible. La voix du duc s'éleva de nouveau.

— Je vous ai cherché cet après-midi avant mon départ. Où étiez-vous ?

Sans détourner son attention du miroir, Mara haussa des épaules.

— Sortie chasser.

— Et vous êtes revenue sans prise ?

Elle marqua une pause, relevant sur lui son regard polaire. Soutenant son regard dans un geste de pur défi, elle finit par hausser des épaules et minauder :

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant