L'affaire Avia de Verlaise

Prologue

Avec les fêtes de fin d'années, les enfants partis à l'internat en septembre sont revenus et se hâtent de redécouvrir avec déception cette ville qu'ils connaissaient tant avant leur départ. Leurs regards furètent sur les vitrines des petits commerces et sur les étalages du marché sans conviction. Dans leurs yeux se lit toute l'arrogance d'une jeunesse instruite dans les meilleures écoles du pays qui ne supportent pas l'idée de se retrouver mêlée à la classe ouvrière. A chaque galopin qui les percute, ce sont des regards noirs qui sont jetés.

Ces galopins sont tous des enfants venant des milieux populaires. A cause de la pauvreté de leur famille, l'éducation leur est inaccessible. Entre plusieurs ventes de journaux, ils crapahutent entre les passants et les fiacres tirés par des chevaux. Dans le lot, il y a de temps en temps de jeunes filles, celles que les parents ont préféré envoyé vendre quelques journaux au lieu d'apprendre à tricoter ou cuisiner pour leur futur famille.

Avia de Verlaise enviait ces filles parfois aussi âgées qu'elle, auxquelles cette liberté était permise. Elle, elle ne pouvait se permettre de faire une telle chose car elle était une jeune femme respectable, issue d'une des plus vieilles familles de la noblesse française. Cela lui incombait d'avoir des manières irréprochables, d'autant plus que sa main est promise au marquis de Duboisé ; un homme issu de la noblesse étrangère.

Parmi les individus qui composent cette foule qu'elle brave, elle sait que beaucoup sont de la noblesse ou de la bourgeoisie et que ces personnes ne pourraient pas être plus heureuse si elles pouvaient la surprendre en train de commettre un impair. Cela leur permettrait de répandre des rumeurs à son sujet et, sur le long terme, lui donner une mauvaise réputation qui annulerait ses fiançailles avec le marquis tant convoité.

Tu es sûrement en train de penser, cher Lecteur, que Mademoiselle de Verlaise est une personne respectable aux manières impeccables et que jamais elle ne se permet le moindre impair, malgré l'envie qui la saisit parfois. Les nobles et les bourgeois en sont tout autant persuadés et c'est parce que cette jeune femme n'a jamais laissé aux autres la chance de la critiquer qu'ils sont autant attentifs aux moindres de ses gestes, en quête de la moindre opportunité qui entrainerait sa descente en Enfer.

Mais détrompe-toi. Avia de Verlaise n'est pas une femme exempte de défauts. Ou plutôt... elle possède un talent naturel pour déguiser les vérités fâcheuses qui peuvent lui occasionner des problèmes. L'une de ces « vérités fâcheuses » est sa liaison avec un homme de basse extraction ; plus précisément le fils d'un boulanger. Si une telle relation venait à être mise au goût du jour, alors qu'elle est de la noblesse et surtout, fiancée, le déshonneur s'abattrait sur elle ainsi que sur toute sa famille pour au moins deux générations.

Il y a, parmi la haute société, une hypocrisie qui fait que même si tout le monde sait que les liaisons sont choses fréquentes, si elles sont dévoilées au grand public, un scandale éclate. Tout le monde doit ainsi protéger ses arrières pour que la vérité ne soit pas découverte. Ou plutôt, pour que le nom des amants ne fuitent pas. Ce qui fait que l'on admire tout particulièrement la jeune Avia de Verlaise et qu'on désire à ce point l'anéantir, c'est qu'elle semble être aux antipodes de ces convictions enracinées dans tout un chacun.

Ce jour-là était l'une de ces nombreuses fois où elle rendait visite à la personne qui était parvenue à charmer son cœur. Pour éviter d'être pris en flagrant délit pendant leurs retrouvailles, ils se donnaient rendez-vous une à deux fois par semaine dans une endroit secret, connu d'eux seuls. Même Olivia, la servante de Mademoiselle de Verlaise, qui pourtant avait conscience de tous les secrets de sa maitresse, ne savait pas où se trouvait ce mystérieux point de ralliement.

Tu te demandes sûrement ce qu'une demoiselle comme Avia, dorlotée et choyée par sa famille, a pu finir par croiser le chemin d'un fils de boulanger.