Prologue : Zan

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Les humains savent.

Zan replia soigneusement le message qu'un de ses domestiques lui tendait sur un plateau argenté puis le reposa d'une façon désinvolte en faisant signe à son valet de disposer.

Parfait, pensa-t-il en souriant.

Maintenant, ils en ont la preuve. Vampires, dieux, sorcières. Fées, loups-garous, magiciens, métamorphes... Tout était bien réel. Les créatures que les mortels sur Terre craignaient le plus existaient bel et bien. Sur une autre dimension, seulement. Ils le savaient tous, à l'époque, sauf les hommes de ce qu'ils nommaient la Terre. Une dimension vivant sans le savoir sous le protectorat du monde Divin. En effet, les dieux les gardaient jalousement sous leur coupe, une terre de ressources, de fidèles et à l'occasion, de terrain de jeu.

Pour Zan, ce n'était pas juste. Lui aussi voulait jouer sur Terre. Toujours.

Nous le savions.

Tout changerait désormais, Zan pouvait espérer retourner chez les humains à sa guise sans devoir se cacher comme il avait pu le faire ces dernières décennies. Il les trouvait fascinants, particulièrement réceptifs à ses charmes. Il ne se lassait jamais de cette sensation extrêmement grisante provenant de son pouvoir de manipulation. Ces humains avaient su évoluer différemment des autres peuples et rivalisaient d'ingéniosité pour s'amuser. Et parfois, à l'occasion, les chasser était un pur plaisir. Ce qu'il ne pouvait pas faire avec le peu de mortels peuplant ses terres.

Chasser. À cette pensée, il pouvait entendre son estomac protester fermement. Une sensation inédite pour lui qui avait l'habitude de vivre dans l'opulence. La débauche, même.

Zan ferma les yeux un instant, gardant le peu de force qu'il lui restait. Combien de temps s'était-il écoulé ? Il glissa par terre, provoquant un cliquetis des chaînes entravant ses mains et ses pieds, enchaîné telle une bête sauvage. Sa tête posée contre les barreaux de sa geôle, il attendait, paisible. Il détonnait avec le décor, ses vêtements attestaient son noble rang mais ils étaient dans un état de saleté avancée, révélant les conditions de sa détention.

La pleine lune luisait à travers la fenêtre de sa cellule crasseuse et éclairait faiblement la pièce, bien qu'il n'en ait pas besoin pour voir parfaitement, quel que soit le moment de la journée. Il pouvait la voir même à travers le brouillard dissimulant le ciel. Cette perpétuelle ambiance morne, vespérale, lui avait toujours pesé. Encore quelques minutes et l'un de ses propres gardes viendrait le tirer de son ennui. Il s'accorda un bref moment de repos en fermant les yeux.

Puis, le moment attendu arriva. Il tourna son regard polaire vers la lourde porte du cachot, qui émit un bruit sourd. Un vent glacial s'engouffra sous sa chemise en lambeaux.

- Seigneur Zan, il est temps.

- C'est à dire, mon bon Turenne ? Vous avez changé de discours ce soir, nous progressons. Des nouvelles de mon cher père ?

- Veuillez me suivre monseigneur.

- Pourquoi donc ? Je n'en ai pas envie, dites à mes parents de me libérer sur le champ, ordonna-t-il.

- Je crains que cela soit impossible. Ce sont eux qui m'envoient.... je... je dois vous emmener. Votre sentence a été prononcée.

- J'imagine que cela n'augure rien de bon.

- Effectivement, sire. Ils vous ont condamné à la potence.

Le soldat hésita.

- À l'unanimité.

Turenne n'osa pas en dire davantage. Zan se prit d'un fou rire frénétique. Désarçonné, Turenne tenta de reprendre une contenance et déverrouilla la porte d'un air grave, faisant cesser les rires de Zan. Il lui rappela que les ordres venaient du Roi et du Seigneur Vincian et bien qu'il le craignait, il avait plus à perdre en leur désobéissant que d'écouter sa conscience. Il devait donc se résoudre à le regarder pendre au bout d'une corde spécialement conçue pour son espèce afin de rendre les exécutions plus distrayantes.

Turenne prit le trousseau de clés attaché à sa ceinture et s'accroupit près du détenu qui se laissa faire, un sourire en coin sur son visage parfait.

- Avouez que même dans vos rêves les plus fous, vous n'auriez jamais réussi à m'enchaîner de la sorte.

Zan observa avec délectation la réaction de son mentor et ami qui tentait tant bien que mal de déglutir pour dissiper son trouble.

Ça fonctionne toujours, se dit-il en détournant sa tête encadrée de cheveux dorés.

C'était une belle nuit de pleine lune. On pouvait la voir même à travers la brume au-dessus d'eux. Cependant, cela importait peu à présent pour Zan. Sa propre famille avait décidé de le sacrifier, au nom du code, de l'éthique et ce sans état d'âme, bien qu'ils en soient tous dépourvus. Il n'avait pas pu se défendre lors de son propre procès, son éloquence aurait pu lui être utile pour une fois. Tout avait été fait pour qu'il ne puisse pas se défendre. Un dépravé, son père le qualifiait ainsi. Il n'avait pas tout à fait tort à ce sujet.

Turenne se risqua à lui tendre sa main gantée tout en gardant l'autre sur le pommeau de son épée. Au moindre mouvement brusque, il avait l'ordre de lui trancher la tête et de brûler son corps. Zan ne lui prêta aucune attention tandis qu'il se levait péniblement. Il prit une grande inspiration en prenant un ton impérieux, comme s'il l'avait décidé :

- Bien, allons-y.

Il quitta enfin sa prison putride. Turenne déverrouilla la dernière lourde porte qui le séparait de l'extérieur. L'air y était frais, agréable. Les nuages épais se fondaient sur la cime des hauts arbres de la cour pavée. Leurs pas légers résonnaient dans le silence de la nuit. Zan pensa qu'il ne reverrait plus jamais cet endroit sinistre, sans vie. Ces tourelles en pierre, ces jardins à la géométrie irréprochable digne d'un cimetière lui donnaient la nausée. Cela l'enchanta, lui qui avait toujours eu horreur de ces murs. Les deux hommes marchèrent lentement vers la tour nord, là où tous les condamnés à mort devaient séjourner avant leur exécution. La liberté semblait à sa portée bien qu'il se doutait qu'un geste brusque de sa part lui vaudrait une flèche en plein cœur de la part des gardes postés dans l'ombre. Oui, cela ne lui avait pas échappé. Il soupira, résigné.

Ce serait vraiment une belle nuit pour mourir. Du moins, pour disparaître, après toutes ces années vécues.

Children of the Sun (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant