La mort.D'aussi loin que je me souvienne, ce concept me terrifie. Mourir. Voir mes proches mourir. Je n'ai jamais accepté de souffrir ainsi, d'avoir aussi peur. J'ai beau être adulte, devoir affronter la mort dans mon métier presque chaque jour, elle continue d'hanter mes nuits. Elle provoque chez moi des insomnies, des crises de panique, des terreurs nocturnes. Chaque nuit ou presque, je me réveille, souvent en sueur. Je sors alors de ma chambre, me dirige vers le salon de mon appartement, attrape une cigarette et vais fumer sur la terrasse donnant sur la ville, la grande ville, celle qui continue de grouiller telle une fourmilière malgré l'heure tardive. Je reste là quelques minutes, ou jusqu'au lever du soleil. J'écoute les bruits nocturnes de la ville, si différents de ceux de la journée. Tout semble atténué, comme si la nuit en plus de poser son voile noir sur la ville, posait aussi une sourdine. J'entends une sirène au loin, peut être une bagarre dans un bar miteux. J'entends des rires, des télés restées allumées alors que leurs propriétaires ronflaient bruyamment, des pleurs d'enfants qu'un cauchemar à aussi réveillé, des cris de personnes ayant un peu trop abusé sur l'alcool... l'on pourrait croire que tout cela est très cacophonique, dissonant, mais ce n'est pas le cas. Tout est loin, très loin, et ne m'atteint pas personnellement, ne m'agresse pas. Pas comme cette idée qui m'obsède. La mort.
Quand a commencé cette peur maladive et irrationnelle? Tôt. Je n'avais que quelques années, cinq tout au plus, lorsque ma mère reçut un coup de téléphone. Notre voisine, aussi mon arrière-grande-tante, venait de passer l'arme à gauche. Comment expliquer à un gamin de quatre ou cinq ans que quelqu'un venait de mourir? On peut le faire de bien des façons. Embellir la vérité, à la façon du père noël et du lapin de Pâques, dire quelque chose du genre "certaines personnes deviennent des anges après avoir fait de belles choses", parler de religion, du paradis et de l'enfer, dire à l'enfant que la personne s'est endormi pour toujours... ce ne sont pas les idées qui manquent. Et c'est là la source de ma peur. C'est que, comme l'on pouvait s'y attendre venant d'adultes, aucun membre de ma famille ne s'était mis d'accord sur la version à me donner. Je me retrouvai donc avec une voisine qui était partie au ciel, ciel qui était aussi le paradis, mais qui était aussi enterrée six pieds sous terre, qui était à la fois un ange et en train de dormir, qui était parti pour un grand et long voyage... j'ai vite compris que les adultes mentaient. En réalité, ils n'avaient pas la moindre idée de ce qui était arrivé à l'arrière-grande-tante. Ils ne savaient pas. Mes parents n'avaient pas de réponse. Mes parents, à l'âge que j'avais, avaient toujours des réponses. Quelque chose en moi ce brisa à ce moment. Non seulement les adultes n'avaient pas la science infuse (même mes parents), mais ils étaient capable de mentir (je n'aborderai pas le sujet du père noël qui s'est avéré être mon oncle le Noël suivant). Et pire que tout, nous n'étions pas immortels. Nous pouvions disparaître, comme ça, presque d'un claquement de doigts, sans prévenir. Et ma famille n'était pas épargnée. Cela faisait beaucoup à assimiler pour un enfant de cet âge. Mais j'avais réussi à mettre ces idées de côté, un temps.
Saut dans le temps. J'ai maintenant huit ans, mes parents sont divorcés, mon petit frère et moi voyageons d'une maison à l'autre, la vie suit son cours. Jusqu'au jour où notre mère nous apprend le décès d'une de nos arrière-grand-mères. Un poids sur la poitrine, je manque d'air. Quelqu'un de ma famille venait de mourir, encore. Alors cette malédiction, cette horreur ne nous épargnait pas? S'en est suivi de longs mois de questionnement, de cauchemars et d'insomnies. Les adultes n'étaient pas plus aptes à répondre à mes questions concernant la mort que quatre ans auparavant, et cela me contrariait. J'avais peur de l'inconnu. J'avais peur de l'abandon. Et puis après tout, si tout le monde mourrait un jour comme ça sans prévenir, est ce que je n'allais pas apprendre un jour un accident grave qui aura tué ma mère et mon frère, ou un incendie qui aura enlevé la vie à mon père? J'avais peur, je ne voulais plus perdre personne. Mais ironiquement, la vie avait d'autres projets pour moi.
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Joyeux Noël
Ужасы"J'écoute les bruits nocturnes de la ville, si différents de ceux de la journée. Tout semble atténué, comme si la nuit en plus de poser son voile noir sur la ville, posait aussi une sourdine. J'entends une sirène au loin, peut être une bagarre dans...