« Ce n'est pas possible, lâché-je, la gorge soudain asséchée, tu n'as pas le droit. Tu ne peux pas faire ça. »
Elle me fixe, impassible. Derrière elle, Laëtitia semble un peu inquiète. Elle me dévisage elle aussi de ses grands yeux bruns. Dix ans grand maximum, oui ; peut-être neuf. Elle triture les bretelles de sa robe, comme pour évacuer son malaise. Elle doit sentir que quelque chose cloche, même si elle semble faire confiance à Léonie.
« Faire quoi ? demande cette dernière comme si de rien n'était.
— Léonie, c'est une gamine ! »
La fillette fronce les sourcils.
« Vous devez me dire votre secret maintenant, dit-elle d'une petite voix en levant son regard troublé vers Léonie, vous aviez promis.
— Je te le dirai, ne t'en fais pas.
— Maintenant !
— Promis quoi ? » interviens-je d'une voix dure.
Ni Laëtitia ni Léonie ne tiennent compte de ma question. La fillette semble hésiter, puis soudain, elle se détourne, grimpe les escaliers en courant et tente d'ouvrir la porte. Elle s'acharne dessus jusqu'à ce que Léonie la rattrape, la saisisse par la taille et la traîne en bas des escaliers.
« Lâchez-moi, gémit Laëtitia qui la bourre en vain de coups de poing, laissez-moi tranquille ! C'est interdit ! Je veux sortir !
— Si tu te tiens bien, tu sortiras, prétend Léonie avec douceur.
— Je vous crois pas ! »
Ignorant les plaintes de la fillette, elle la tire vers l'autre porte de la salle, qui donne sur le couloir conduisant aux caves privées. La pièce est uniquement éclairée par une ampoule au plafond, qui projette une lumière vacillante sur les murs. Lorsque Léonie passe devant moi, son visage sort de l'ombre pour la première fois depuis son retour. La violence des émotions que j'y lis est telle que j'ai un mouvement de recul. Ses traits sont tordus dans une expression de dégoût mêlé d'horreur ; ses yeux écarquillés, emplis de détresse et de terreur, posent un regard fixe sur un point devant elle. Ce qu'elle fait semble lui répugner autant qu'à moi, et pourtant elle entraîne toujours Laëtitia dans le couloir. Je les suis, le cœur battant si fort que j'ai l'impression de n'entendre que lui.
Le visage de Léonie a retrouvé sa froideur quand elle s'arrête dans une cave vide et y dépose l'enfant, ne la tenant que par un bras.
« Tiens, aide-moi, m'enjoint-elle en me lançant un trousseau de clés sans même se retourner. Prépare-toi à fermer en vitesse. »
Je ne fais pas un geste pour le rattraper. Au tintement que produisent les clés en heurtant le sol, Léonie se retourne et me décoche un regard agacé.
« Laisse-la partir, ordonné-je d'un ton froid, tout ça a assez duré. Tu ne peux pas accepter ça. C'est une enfant.
— Laissez-moi... approuve la fillette qui se débat de plus en plus faiblement.
— Je ne peux pas ! »
Elle repousse Laëtitia, court vers la porte, la ferme en s'appuyant dessus, récupère le trousseau sur le sol et donne deux tours de clé dans la serrure. Les pleurs de l'enfant nous parviennent à travers le battant.
« Je suis obligée, Théo. Mais c'est bien... c'est ce qu'il faut faire. Ils ont raison. »
Elle s'éloigne vers la pièce principale, les clés serrées dans sa main. Je reste adossé à la porte à écouter Laëtitia sangloter jusqu'à ce que ce bruit devienne insupportable, puis je m'enfuis à mon tour, la laissant seule dans le noir.
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Les larmes de la lionne
Misterio / SuspensoCela fait huit ans que Théo vit dans la famille de sa tante avec sa sœur Léonie. Huit ans que le jeune étudiant se débat avec ses souvenirs. Huit ans que, pour respecter la promesse faite à sa mère, il surveille discrètement sa sœur. L'équilibre qu'...