Chapitre 4 : Neven

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even, enfoncé dans le siège arrière de la voiture, ruminait ses pensées en regardant le paysage défiler. Il ne prêtait même pas attention à la jeune femme assise à côté de lui. Elle devait être une amie de Clarisse, la sœur jumelle de son meilleur ami, Damien. Avait-il eu raison de laisser une nouvelle fois Sun pour aller faire la fête ? Il n'en savait rien. Il préféra penser à la prochaine femme qu'il croiserait en soirée.

— On fait un p'tit détour par le centre-ville, on doit aller faire le plein pour entrer dans la fête de ce soir, déclara Damien.

Il ne s'offusqua pas de l'absence de réponse de son ami et tourna le volant à droite. Ils avaient au préalable traîné chez les jumeaux avant de prendre le chemin du campus. Les routes redevenaient normales, après avoir parcouru les chemins de terre à travers les champs. Les quatre jeunes gens s'arrêtèrent dans une supérette tenue par un vieil homme. Neven s'était toujours demandé d'où pouvait-il bien venir. À première vue, il avait l'air humain mais il avait l'œil : le gérant semblait avoir au moins mille ans et tous ses sens étaient bien plus développés, en totale contradiction avec son âge avancé. Impossible d'avoir l'âge de trois hommes et de tenir un commerce, pensa-t-il, amusé.

— Oh le vieux renard, salua-t-il.

— Encore toi ? Combien de fêtes fais-tu par semaine exactement ? Tu étudies au moins ? ronchonna l'ancien.

— Mais oui, t'inquiète pas !

— Je ne m'inquiète pas, répliqua-t-il. Repose ça tout de suite toi !

La bande ricana en observant un gamin d'une douzaine d'années reposer discrètement une bouteille d'alcool dans le rayon. Pas humain, ce gars.

Après avoir dévalisé le rayon des chips et glané quelques bouteilles d'alcool, ils se dirigèrent vers le véhicule pour déposer leur butin dans le coffre. Neven le ferma en regardant distraitement autour de lui lorsqu'il la vit.

Moulée dans une robe en similicuir marron qui lui allait à merveille, elle n'était pas seule. Elle semblait même en galante compagnie. Son visage, habituellement fermé affichait un sourire radieux. Elle rit même à ce qui sembla être une blague chuchotée par son prétendant à son oreille affublée de ses créoles préférées.

Neven reconnut cet étudiant âgé de deux ans de plus qu'eux. Il l'avait déjà aperçu lorsqu'il venait casser les pieds à sa voisine sur son terrain de prédilection : la bibliothèque universitaire. Cependant, il n'avait jamais remarqué quoi que ce soit entre eux jusqu'à maintenant. Malin, ce mec.

Il remonta dans le véhicule avec l'air le plus détaché du monde. Qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire de les voir minauder, elle en train de tortiller une de ses mèches de cheveux devant lui ?

Clarisse ne put s'empêcher de remuer le couteau dans la plaie :

— Vous avez vu Sun et Math ? Gloussa-t-elle. Qu'est-ce qu'il est sexy ce mec !

Elle avait changé sa place avec sa copine au grand désespoir de Neven. Les autres ne manquèrent pas de discuter de Sun et son rencard pendant le trajet, ce qui agaça profondément le sorcier qui restait mutique.

— Neven ? Tout va bien ? C'est vrai que c'est ta voisine... Tu la connais mieux que nous après tout.

— Ouais, t'inquiète pas pour moi, va. Comme tu le dis, c'est juste ma voisine.

— Tu parles, se moqua Clarisse. Depuis le collège, les pronostics vous concernant sont ouverts mais bon ... Vous êtes deux abrutis, vous le savez ça ?

Elle éclata d'un grand rire cristallin en rejetant ses cheveux blonds peroxydés en arrière. Elle continua à cancaner avec son amie. Le jeune homme ne broncha pas. Elle avait le don de mettre le doigt où ça faisait mal, ce qui énervait prodigieusement Neven.

— Arrête la voiture, marmonna ce dernier.

L'hilarité de Damien s'interrompit aussitôt et il lui jeta un regard dans son rétroviseur. L'expression de son meilleur ami demeurait indéchiffrable.

— Quoi ?

— Je t'ai dit d'arrêter cette putain de voiture !

— Mais on est au milieu de nulle part, répliqua Damien.

— Ouh, il est jaloux, je te l'avais dit ! le charria Clarisse.

— Neven ? couina sa copine.

Damien comprit aussitôt puis s'arrêta en plein milieu de la route. Neven descendit du véhicule et leur adressa un signe de la main en guise d'au revoir. Damien démarra rapidement afin d'éviter de provoquer un accident. Neven se dirigea vers le champ longeant la route. Il devait être à moins d'une dizaine de kilomètres de leur village, il fallait faire vite.

Le soleil déclinait pour de bon en cette agréable fin d'après-midi de printemps. Neven prit une profonde inspiration en projetant mentalement la matière dont il devait être fait pour avancer le plus vite possible. Un tourbillon de poussière se forma autour de lui. Ça marchait, ce qui lui procura la même satisfaction, qu'à chaque fois. Il prit son élan comme le ferait un sprinteur et se propulsa littéralement vers l'avant. Son corps tout entier fut si léger qu'il parvint à se déplacer à toute vitesse.

Il repoussa ses limites, encore et encore jusqu'à arriver hors d'haleine à sa destination. Le parking de la supérette était à présent presque vide. Les deux cafés situés à proximité également. Après quelques minutes de recherche, il dut se rendre à l'évidence : il était arrivé trop tard, Sun avait déjà dû repartir avec son copain. Son rencard, se corrigea-t-il.

Résolu à la retrouver coûte que coûte, il se décida à la contacter directement sur son téléphone portable. Une, deux, trois sonneries. Répondeur.

Qu'allait-il pouvoir lui dire ? Il ne put s'empêcher de ressentir un mélange de culpabilité et de satisfaction à l'idée de lui saboter son rendez-vous. Tant qu'on ne voit pas, on ne sait pas, lui répétait-elle souvent Pourquoi fallait-il que cela tombe ce soir ? Il donna rageusement un coup de pied dans une canette échouée au sol. Le courage qu'il avait trouvé ce soir commençait à retomber, s'essoufflant comme un vieux ballon de baudruche.

À chaque fois, c'était la même chose.

Soudain, son téléphone vibra dans sa main. Il espéra un «QUOI» majuscule en imaginant Sun le fusiller de ses yeux vairons. Malheureusement, ce ne fut pas le cas, il glissa l'appareil dans la poche arrière de son pantalon cargo en soupirant, résigné. Rien n'allait dans son sens ce soir.

Dans ce message, il était écrit : « C'était ta dernière chance pour me donner ta réponse. ».


Children of the Sun (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant