Reste... [OS Rivamika]

"Reste..."

Je viens de montrer à Livaï sa chambre à l'auberge et je m'apprête à quitter la pièce quand j'entends ce mot qui me pousse à interrompre mon mouvement. Je ne saurais l'expliquer mais ce seul mot, cette seule syllabe résonne en moi comme un écho au point qu'un frisson me parcourt de la tête aux pieds. Je me retourne alors vers lui. Je me rappelle de mon ancien caporal comme d'une personne au visage impassible, voire inexpressif pour ceux qui ne le connaissaient pas assez bien. Mais ce soir, même dans l'obscurité de la chambre faiblement éclairée à la bougie, je peux déceler sans peine toute l'intensité de son regard. Et que dire du ton de sa voix, chargé en émotions lui aussi... Sa demande sonne comme une plainte, un cri de désespoir contenu, si bien que je ne peux m'empêcher de refaire quelques pas dans sa direction, comme hypnotisée. Les questions se bousculent dans ma tête : réclame-t-il juste une présence, las de ses nuits hantées de cauchemars ? A-t-il besoin de se confier ? Ou espère-t-il davantage ? N'osant pas exprimer ces interrogations à voix haute, je m'avance un peu plus vers lui, le sondant du regard. Il semble tenter de marmonner quelque chose, cependant rien ne vient et il reste figé tandis qu'il continue à me dévisager. Je tente alors, dans un souffle :

"Je suis là..."

A ce moment, son regard qui n'avait pas encore quitté mes yeux, descend vers mes lèvres et s'y attarde un peu. Est-ce qu'il pense à ce que je pense ? Ses pupilles semblent dilatées mais est-ce juste la pénombre ou y a-t-il autre chose ? A mon tour, j'observe furtivement sa bouche et me surprends à envisager un baiser, comme lui peut-être. C'est alors que je réalise qu'étant plus grande que lui, c'est à moi de faire le premier pas – il ne va pas me sauter au cou. A la fois galvanisée par cette conscience d'avoir l'avantage sur lui - pour une fois - et troublée par son attitude, je me penche encore un peu vers lui jusqu'à capturer ses lèvres.

Trois heures plus tôt

Comme presque tous les soirs de la semaine, je m'affaire à servir les clients de l'auberge où je travaille. Mais ce soir j'ai senti dès l'ouverture une sorte d'ambiance électrique, annonçant une soirée plus mouvementée que d'habitude. Peut-être mon instinct d'ancienne soldate qui refait parfois surface ? C'est très différent de ma vie d'avant mais mes réflexes et ma force physique sont des qualités utiles dans ce travail. Et il faut bien gagner sa vie, maintenant que la guerre est finie.

"Alors ma jolie, elle arrive cette nouvelle tournée ?"

J'avais repéré ce groupe d'hommes et rapidement senti qu'ils seraient pénibles donc je faisais mon possible pour les éviter. Non pas que je ne puisse me défendre - c'est plutôt le contraire, j'ai peur d'aller trop loin en voulant les recadrer. Je me dépêche de les servir et fais donc rapidement demi-tour vers d'autres clients. Un peu plus tard, je reviens les débarrasser, et, au moment où je me retourne pour m'éloigner, l'un d'eux passe sa main dans mes cheveux devenus longs et la laisse glisser dans mon dos jusqu'à saisir le nœud de mon tablier au moment où je me retourne, furieuse. Le nœud se défait alors, provoquant le rire général de la tablée. J'inspire un grand coup avant de saisir le poignet de l'homme pour le tordre tout en le mitraillant du regard. Il ne semble pas très perturbé au premier abord puis je vois son visage se décomposer soudainement.

"Allez les gars, on y va..."

Encore perplexe, je ramasse leur argent laissé sur la table lorsque j'entends un son familier derrière moi.

"Tch..."

Je sens mon cœur s'accélérer à l'entente de ce son, de cette voix, qui m'évoquent de vieux souvenirs. Je me retourne alors et mes yeux confirment la perception de mes oreilles.

"Capo..."

"C'est juste Livaï maintenant. Bonsoir Mikasa," me coupe-t-il de son habituel ton neutre.