Chapitre 5 : Sun

140 18 13
                                    

Le premier autobus en direction du village de Moiscourt démarra à sept heures précises. Peu de monde y montait, les vingt minutes de trajet qui séparaient Sun de son domicile s'écoulèrent tranquillement sous une pluie fine typique en cette matinée de printemps.

Sun s'était réveillée dans le studio de Math. Elle s'en était éclipsée peu de temps après avoir ouvert les yeux et enfilé une tenue plus confortable pour repartir seule. Son amant dormait encore paisiblement. Il n'était pas question de le réveiller, Sun voulait en garder un bon souvenir dans le cas où il ne la rappellerait pas après cette soirée en sa compagnie. C'était plus facile ainsi.

Accoudée sur le rebord de la fenêtre du car, la capuche de son sweat rabattue sur sa tête, Sun fut tirée de ses pensées par son téléphone qui vibrait une fois de plus dans son sac à main. Elle consentit enfin à y jeter un coup d'œil. Elle constata que son cher voisin avait essayé de la joindre à plusieurs reprises. Qu'est-ce qui l'avait poussé à le faire ? Mystère. Neven avait toujours le don pour gâcher la plupart de ses rendez-vous.

Un message vocal, laissé au beau milieu de la nuit, parvint à attirer son attention. Qu'avait-il eu de si urgent à lui dire ? Elle porta l'appareil à son oreille. Des bruits étouffés, puis un souffle. En le réécoutant de nouveau, elle crut un instant entendre son prénom chuchoté par Neven. Une respiration saccadée et le silence. Ça n'avait aucun sens. Il devait probablement avoir abusé de substances illicites pour faire l'imbécile sur son répondeur.

Cela n'empêcha pas Sun de se poser des questions, comme toujours. Elle soupira bruyamment en tombant à son tour sur la messagerie de Neven. Il va probablement réapparaître comme si de rien n'était, tenta-t-elle de se rassurer. Après tout, il agissait souvent ainsi. Et s'il lui était arrivé quelque chose ?

Une certaine agitation des voyageurs attira son attention. Des camions de pompier doublèrent à vive allure le véhicule, toutes sirènes hurlantes. La jeune femme se redressa sur son siège. Au loin, elle vit une épaisse fumée monter dans le ciel encore assombri par le temps capricieux. Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, une atmosphère vive et rougeâtre donnait l'impression qu'il faisait jour. Elle ressentit une pointe d'inquiétude. Que se passait-il ?

Le conducteur fit un détour après un appel radio. On confirma qu'il s'agissait d'un incendie. Arrêt à la gare obligatoire. À quelques kilomètres de là, Sun comprit rapidement que quelque chose clochait en voyant la couleur rouge du ciel. Un terrible sentiment lui serra la poitrine. Affolée, elle cria à l'attention de l'homme :

— Arrêtez-vous s'il vous plaît ! Je dois descendre !

— De toute façon, je ne pourrai pas aller plus loin mademoi...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que la jeune femme s'extirpa des portes automatiques du véhicule en s'élançant à toute allure. Elle courut à travers le champ en espérant se tromper sur le lieu du sinistre. Au fur et à mesure de sa course, le doute laissa place à une horrible certitude. Il s'agissait bien de sa maison, ravagée par le feu. Non, pas ça, pensa-t-elle, désemparée.

Comment était-ce possible ?

À mesure qu'elle se rapprochait, la chaleur environnante devenait plus lourde, l'odeur du brûlé lui chatouillant les narines. Elle pensa aussitôt à sa famille en priant pour qu'ils ne s'y trouvent pas. Peut-être que Dawn avait rejoint Neven pendant la soirée ? Elle avait complètement oublié de lui en parler. Quelle imbécile.

Ses espoirs furent vite anéantis lorsqu'elle se rapprocha de l'incendie avec les voitures de sa mère, son père et de sa sœur garées dans la cour.

Des dizaines d'autres véhicules stationnaient en lisière de leur propriété : des ambulances, la police et des combattants du feu. Ces derniers tentaient de maîtriser les flammes.

— On ne peut pas rentrer, dit l'un d'entre eux.

— Ils sont encore tous à l'intérieur, héla un autre.

Cette phrase résonna dans l'esprit de la malheureuse. Sortant de son état de sidération, elle se faufila parmi eux en hurlant :

— Ma famille est dedans !

Des bras tentèrent de l'arrêter, mais elle les repoussa vivement. Son cœur pulsait douloureusement dans sa poitrine. Non, non, non, se répétait-elle, désespérée.

Comment cela se faisait-il qu'Astra n'ait pas pu sortir sa famille de là ? D'autant plus que sa mère ne craignait pas le feu. Un sort ?

Sun se rua à l'intérieur de la maison dévastée par un brasier d'une extrême puissance. Elle comprit, malgré sa confusion qu'il ne s'agissait pas d'un « simple » incendie. Peu lui importait. Ils avaient besoin d'elle. Elle devait les secourir.

Brûlée au niveau de l'épaule, elle ignora la douleur et tenta d'avancer. La chaleur fut si insoutenable que ses poumons lui provoquèrent une terrible quinte de toux. Sa peau s'assécha, ses yeux pleuraient malgré elle. Une épaisse fumée masquait un peu plus son champ de vision troublé.

Il fallait qu'elle essaie.

À l'étage, elle crut entendre un bruit. L'escalier, bien qu'en mauvais état, semblait être encore praticable non sans une grande prudence.

— Maman ! Papa ! Daaaawn ! cria la jeune femme en s'étouffant à nouveau.

Le plafond crépitait dangereusement, des étincelles jaillissaient de toute part, embrasant la table de la cuisine sur laquelle, peu de temps avant, les Akaya prenaient sans le savoir, leur dernier repas en famille.

Sun crut entendre quelqu'un crier son prénom dans une des chambres. Elle se précipita à l'étage. Il y avait un espoir. Une vision d'effroi stoppa son ascension. En haut de l'escalier, un corps s'y trouvait étendu.

— Non ... Papa ...

Dans un sanglot, elle tomba à genoux devant la dépouille de son père. Elle prit le temps de lui fermer les yeux, serrant sa main raide dans la sienne. Elle récita d'une voix étranglée, une des prières que sa mère répétait de temps à autre. Elle se releva, essuyant d'un revers de manche ses larmes. Son père était mort et elle ne pouvait rien faire pour lui.

Il était trop tard, mais peut-être pas pour Astra et Dawn. Sun rassembla tout son courage pour abandonner son père.

Des détonations retentirent au niveau des chambres. La jeune femme se protégea des projections enflammées qui surgissaient de part et d'autre. Elle n'en réchappera probablement pas vivante, mais elle devait essayer de voir sa famille une dernière fois.

En poussant l'une des portes, elle vit au milieu du brasier, Astra. Contrairement à sa fille, son calme transparaissait dans chaque pore de sa peau diaphane. Ses cheveux dorés flottaient dans l'air, une aura blanche l'enveloppait. Pourtant, son corps s'embrasait. Elle aurait dû souffrir, hurler, mais pas Astra Akaya, déesse des Astres.

La déesse se tourna vers sa fille.

— Maman !

Elle observa calmement sa fille en lui adressant un sourire empli d'amour. Sun ne pouvait pas pénétrer complètement dans la pièce et tendit son bras en direction d'Astra.

— Prends ma main, maman, je t'en prie !

— Il est trop tard ma chérie, dit-elle.

Sun refusait de voir la vérité en face.

— Ma fille... Sa voix faiblissait. Malgré la sérénité qu'elle tentait d'afficher, la douleur paraissait si intense qu'il lui était impossible de la dissimuler. Pourtant, elle reprit :

— Sun n'oublie pas... dans cette vie ...

— Non !

Sa fille ne pouvait pas entendre cela. Pas cette prière. Pas celle qu'elle venait de prononcer pour son père qui gisait dans les flammes. Une divinité ne pouvait pas mourir aussi aisément. Sun trouvait cela complètement absurde.

— Je t'aime Sun... articula-t-elle. Dans .... cette vie ...

— Ou .... dans.... une autre, hoqueta la jeune femme, anéantie.

Astra leva lentement ses bras, une lumière aveuglante l'enveloppant. Sun se protégea les yeux. Tout alla très vite. Les flammes engloutirent sa mère, juste avant une violente explosion, puis, le trou noir.

Children of the Sun (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant