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CHAPITRE I
i ci, c'est Paris
Virgine était une grosse pute.
Elle s'habillait chez Prada, se chaussait chez Jimmy Choo, se parfumait tout de même chez Séphora et couchait dans le seizième.
Virginie était une pute.
Tout le monde le savait depuis ses douze ans, et elle avait eu mille et une aventures avec mille et un garçons.
Logée avenue Longchamp, elle prévoyait d'aller à Dauphine lorsqu'elle aurait son bac, avec au moins un an de retard, à dix-neuf ans, pour étudier l'éco-gestion ou la com car l'espagnol et la socio ça ne mène à rien.
Le droit ? Trop compliqué, et un peu incertain. Son père venait de se faire virer du cabinet d'avocats de la propriété industrielle où il gagnait, et sa mère commençait depuis un certain temps à intercaler discrètement des friandises Leader Price entre les produits Monop de l'armoire à glace .
Le voisin, leur associé, venait d'accomplir son déménagement de licencié, si courant dans l'arrondissement qu'on aurait pu y dédier un club. La mère de Virginie voyait quand même l'épouse son amie, qui travaillait maintenant à Nantes, dans la lointaine province. Elle l'hébergeait à l'occasion, parfois pendant toute une semaine.
Aujourd'hui, la pin-up lycéenne passait son temps sur Internet à regarder le site officiel du personnage secondaire d'une saga vampirique dont elle était amoureuse, et qui était sa seule motivation pour aller subir les films en question.
Virginie ne se rendait pas toujours compte qu'elle pouvait avoir du goût. Elle ne faisait attention à aucun de ces « signaux faibles » dont lui parlait sa mère, prof de marketing dans une école de commerce un peu confidentielle située non loin de Saint-Paul, lorsqu'elles discutaient de comportement du consommateur.
Consommatrice, elle l'était. Consommatrices, elles l'étaient.
Intéressant, aucun changement phonétique contre deux changements graphiques et deux changements sémantiques. Quelle incroyable et paradoxale langue que le français.
Ce n'est pas le genre de choses que Virginie aurait remarquées, trop occupée à choisir ses nouveaux cardigans sur Yoox, et à s'attacher les cheveux aux multiples rubans-papillons tout en se délectant d'épisodes de Gossip Girl consciencieusement téléchargés pendant un jour et une nuit.
Les images de son acteur préféré la faisaient rêver. Rêver à quoi exactement ? Scruter l'esprit nébuleux de Virginie revenait à scruter un astéroïde poreux avec un télescope.
Rien n'y prenait vraiment forme, comme si les pensées n'allaient pas au bout d'elles-mêmes. Rien n'était mené à bien, pas même les fantasmes, comme avec ce personnage de film. Que faisait-elle avec lui ? La prenait-il dans ses bras ? Discutaient-ils sous le porche d'une riche suburb ? Se rencontraient-ils à un cocktail upper-class, elle en robe noire, lui dans un blazer navy et des chaussures vernies ?
Rien de cela n'apparaissait, mais elle prenait un demi-plaisir à aller visiter ces galeries photos, tourner avec un enthousiasme diffus les pages de clichés prétendument inopinés qu'une hystérique déterminée avait su rassembler. Cette folle authentique, elle, y allait franchement de ses commentaires sur le corps d'athlète du garçon.
Virginie aussi aimait commenter, mais s'était faite traiter en anglais de pouf candide suite à une remarque interrogative au sujet du statut relationnel de l'acteur/mannequin/ sportif de haut niveau/ diplômé de la business school de Berkeley issu d'un milieu apparemment défavorisé et qu'elle admirait au moins à moitié.
Facebook lui avait pourtant dit qu'il était : célibataire, et intéressé par : les femmes.
Virginie était la première à dire qu'il ne fallait pas croire ce que les gens mettaient sur les réseaux sociaux. Évaluant la sincérité des autres en fonction de la sienne, elle tombait quand même systématiquement dans les pièges tendus par le show-biz dont elle oubliait régulièrement les racines étymologiques et les règles déontologiques.
La fille envoya deux SMS de son Iphone X, décidée à convaincre une amie de bouger de son café neuillien et d'aller la rejoindre à un spot proche du Panthéon, dans le cinquième : l'hérésie parisienne finale, prise pour la quintessence du style par nombre de ses copines du quatre-vingt douze.
Elles s'installèrent une heure plus tard à la terrasse de cet endroit étouffant hiver comme été, qui avait failli être rebaptisé à l'américaine suite à un changement de propriétaire, et créer alors, en synergie avec les boutiques de fringues bon marché florissant sur les jachères des presses académiques, une harmonieuse discordance dans le dernier des cœurs historiques de la capitale.
Pianotant et piaillant, elles informaient à distance leurs complices qu'elles étaient détente au café, les invitaient à les rejoindre et produire le fameux cheerleader effect décrit dans leur instructive série hebdomadaire, sans comprendre tout à fait la dimension insultante du principe pour les deux tiers du groupe.
De beaux garçons aux beaux cheveux se pavanaient en simili cuir un peu brillant, poussant la minauderie à ignorer pour les intéresser les gourdes du seizième venues contempler sans oser les aborder les princes du Luxembourg qu'ils croyaient être.
Les yeux de Virginie s'empourprèrent d'une lueur gourmande lorsqu'elle aperçut un minet à trottinette, le béret de travers sur sa tignasse bouclée, entrer avec une nonchalance ostentatoire dans le si classieux endroit.
Sa hardiesse (planifiée) avait saisi Virginie. Elle aimait les bad boys qui n'en ont rien à foutre des conventions.
Le gars venait en fait du seizième, son arrondissement. Lui aussi aimait ces bad boys, et voulait beaucoup les imiter. Il pouvait le faire lorsque sa mère lui donnait cent euros pour aller s'acheter un t-shirt XXL, frappé des deux lettres les plus redoutées de l'East Coast : l'acronyme du rappeur des banquiers mondialistes que pas mal de mecs du quatre-vingt treize avaient l'air d'adorer écouter sur certains tronçons du RER C.
Paul-Henry (c'était le prénom du bellâtre sociologique) mettait toujours ces purs morceaux lorsqu'il chaussait ses headphones Boseavant de dormir.
Il avait repéré qu'elle l'avait repérée.
BIENTÔT LA SUITE
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Virginie
Teen FictionVirginie a des copines, et des copains aussi. Elle est encore jeune mais déjà expérimentée. Ses goûts de luxe survivront-ils aux drastiques réductions de budget pratiquées par ses parents ? Ce n’est pas en suivant Tereza, son amie et mentor, qu’elle...