40 | Première entaille

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JULIA

J- inconnu

Heure inconnue

Lieu inconnu


J'ai toujours été jalouse de ma sœur.

Elle semblait tellement plus heureuse que moi qui détestait notre vie et ce qu'elle avait fini par faire de nous. Je me sentais monstre mais elle était si lumineuse que ça faisait mal de ne pas être à sa hauteur. Je haïssais du plus profond de mon cœur la personne que j'étais alors. Je détestais partager une identité, offrir notre vie et notre liberté à des personnes qui ne souciaient guère de nous, devenir un objet de convoitise pour des personnes qu'on ne connaissait même pas et je détestais la voir soucieuse quand elle me trouvait à pleurer dans la cuisine en pleine nuit sans savoir comment me consoler.

J'étais jalouse qu'elle soit si forte alors que j'étais si faible.

Tout avait sûrement commencé quand nos géniteurs nous avaient échangés pour quelques dollars, vendues comme des porcs destinés à l'abattoir, vendues comme si nous n'étions pas leur fille. Quelques dollars pour la science, pour une vie meilleure loin de la pauvreté des quartiers de Denver, loin de tout ce qui me faisait être moi, cette blonde un peu paumée mais qui n'en était pas moins heureuse.

« Une vie meilleure », quel beau nom pour décrire l'enfer.

Le pire, sans doute, c'est que nos parents ont eu l'audace de nous dire qu'ils avaient été forcés, qu'ils n'avaient pas eu le choix. Ils ne se doutaient pas qu'on utiliserait la vérité pour nous détruire un peu plus, qu'on nous raconterait tout, comment ils avaient sautés sur l'occasion d'avoir moins de bouches à nourrir et comment ils avaient acceptés de nous laisser pour quelques billets seulement. On nous a tout dit : personne n'avait jamais été forcé, ils s'étaient simplement débarrassés de nous.

Au début, je les ai haïs pour ça. Mais quand j'ai vu l'horreur que j'étais devenue, j'ai compris : ils n'auraient jamais eu la foi nécessaire pour s'occuper de quelqu'un comme moi.

Mais eux, l'avaient c'est certain. En fait, tout a vraiment commencée quand le FBI est devenu notre famille. Nos seuls liens avec le monde, le seul point d'ancrage pour de pauvres enfants qui avaient à peine seize ans. Une putain de famille qui nous traitait comme de la merde parce que pour eux, nous n'étions qu'une nouvelle expérience. Deux jumelles dociles, en tout point identiques, que personne ne parvenait jamais à différencier. Julia était Cecilia et Cecilia était Julia. J'embellis sûrement trop la chose : nous n'avions même plus le droit d'être nous car nous étions à eux. Ils ont mis un point d'honneur à nous le faire comprendre.

Le FBI nous a élevé comme des pestiférées. Au final, c'était ça l'expérience : il fallait que Cecilia et Julia ne soit qu'Agatha, qu'elles vivent la même vie, identiques jusque dans les gens que nous étions autorisés à aimer ou à rencontrer. Il était nécessaire que personne ne puisse imaginer que quand l'une était devant vous, la seconde était dans votre dos mais être Agatha n'était pas une vie. C'était un rôle trop lourd à porter, un masque trop épais à enfiler pour deux jeunes filles qui avaient tout perdu en un claquement de doigts.

Rendez-vous bien compte de l'arme qu'ils étaient en train de créer. Nous étions la promesse de victoires et d'informations inédites puisque nous étions des recrues uniques qui leur garantiraient une longueur d'avance sur tous les autres. La cruauté semblait reléguée au second rôle si elle permettait d'assurer la sécurité d'une nation pourrie jusqu'à la moelle. Il n'y a pas de moindre mal. Il n'y a que différentes manières de faire le mal mais aucune d'entre elles n'est excusable. Moi, je ne les pardonnerai jamais d'avoir fait de ma vie un cauchemar éveillé.

J'étais jalouse que Cece soit meilleure que moi aux exercices de tirs longues distances. J'étais jalouse qu'on ne lui reproche jamais d'être « fatiguée » alors que j'étais seulement moins performante qu'elle en course à pieds. J'étais jalouse des amis qu'elle se créait alors que je n'étais bonne qu'à l'imiter. J'étais jalouse qu'elle n'ait pas eu tant d'effort à faire pour s'endurcir, pour créer une carapace assez épaisse pour être inatteignable.

J'ai tout fait pour être aussi forte qu'elle. J'ai rendu mes épaules plus fortes pour supporter le rôle, j'ai relevé la tête pour enfiler le masque, j'ai bombé le torse pour ne plus nager dans le costume qu'on m'avait attribué. J'ai peut-être réussi mais je n'en suis ressortie que plus envieuse encore.

Parce que plus que tout, j'étais jalouse qu'elle sorte les jours pairs.



NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant