Chapitre XII - Premier jet

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    Piccadilly Street n'était pas la rue la plus bruyante ni la plus vivante de tout Londres, mais toute la crème de la crème de la société aimait cette avenue et les produits de luxe qu'elle proposait. Fortnum & Mason servait par exemple des produits d'excellente qualité à une grande partie des cours d'Europe, si ce n'était toutes. Je ne fréquentais pas souvent ce genre d'établissements, mais la reine des vampires ne cessaient d'en dire du bien dès qu'elle en avait l'occasion.

    Je glissai un coup d'œil à Lord McDonnell, qui se promenait à mon bras en jetant des regards curieux en tous sens. Sir Albert Coalman, quant à lui, gardait ses yeux rivés sur la librairie Hatchards. Lord Byron y était venu fréquemment il y avait au moins quatre-vingt ans, bien que je n'étais alors pas présente pour le voir.

    Nous continuâmes d'avancer jusqu'à une petite façade de pierre assez discrète par rapport à ses voisines, qui arborait "Jennings Florist" en lettres élégantes blanches, surmonté d'une petite silhouette de plante dans les mêmes tons. Des vases remplis de roses, de violettes, de jonquilles et de marguerites, ainsi que des jasmins et des pivoines exotiques - très sûrement conservées par plusieurs couches de sortilèges - envahissaient la vitrine. Des petits personnages en faïences tenaient dans leurs bras des tussy mussy, petits bouquets très à la mode en Angleterre - mais bien moins connus en France.

    Sir Albert Coalman alla ouvrir la porte avec entrain, mais il fut coupé dans son élan par Lord McDonnell. Ce dernier effectua une élégante révérence et me fit signe d'entrer la première. Cette charmante attitude m'arracha un sourire et je m'engouffrai sans un mot dans la boutique.

    La première chose que je remarquai ne fut pas la jolie vendeuse dont le grand tablier portait des tulipes dans ses poches, ni les grands miroirs qui élargissaient cette petite pièce. Mon attention se posa plutôt sur un petit récipient en étain, qui contenait une vingtaine de roses mousseuses d'un orange flamboyant. Normalement, des fleurs avec une couleur aussi particulière n'auraient jamais vu le jour, mais les dryades avaient un penchant pour l'horticulture et les croisements, si bien qu'elles avaient déjà inventé de fascinants œillets d'un bleu presque noir, des marguerites vert tendre bordées de rose pâle et même un lys dont chaque pétale avait une teinte différente.

    Je m'arrachai à regrets de cette vue splendide, me rappelant que j'étais ici pour enquêter sur les raisons de la condition de Mr. Twain et non pour jouer les coquettes. Lentement, je passai donc en revue chaque plante, chaque enchantement dans cette pièce et les traces qu'ils laissaient dans leur passage. Naïra m'aida consciencieusement, me signalant chaque odeur suspecte qu'elle détectait. J'eus aussi recours à d'autres moyens, sur lesquels je ne m'attarderais pas.

    Derrière moi, Sir Albert Coalman salua la vendeuse et demanda plusieurs renseignements sur les différents sortilèges présents, leurs usages et les permis d'utilisation qui leur étaient liés. Il sortit aussi un étrange appareil, qui ressemblait à un globe miniature, de la poche de son gilet et fit plusieurs fois le tour de la salle, avant de ranger précieusement son outil.

    Vu son air renfrogné, lui non plus n'avait rien trouvé d'anormal ici. Cela ne voulait pas dire que la fleuriste n'était pas une suspecte, simplement qu'elle n'avait pas commis son crime directement sur son lieu de travail.

  - Avez-vous récemment eu un client du nom de Mr. Twain ? Plutôt grand et mince, avec des boucles blondes et des yeux marrons ? Il devait je pense acheter un bouquet pour sa fiancée.

  - Bien sûr que je me souviens de lui ! s'exclama la propriétaire avec ravissement. Il a acheté un énorme bouquet de plusieurs sortes de roses blanches, de tulipes blanches et de pivoines. Il voulait faire comprendre à sa fiancée qu'il l'aimait d'un amour pur et sincère. Pourquoi cette question ? Il lui est arrivé malheur ?

Le voleur d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant