Le garçon qui aimait la neige.

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Je venais tous les jours pour regarder les rails couverts de neige.

Absolument tout dans cette gare était nappé de blanc, la neige se faisait une place sur le sol, les toits des maisons un peu plus loin, elle atterrissait sur les nombreux trains qui passaient. Et elle virevoltait, elle survolait, elle habillait les mèches de cheveux qu'elle rencontrait.

La neige me rendait nostalgique, toutes mes pensées n'étaient dirigées qu'en son sens. Et j'en pleurais chaque jour, assis sur ce banc brûlant d'un froid inébranlable. Et j'en pleurais toujours, pensant à cette solitude en moi qu'elle comblait, et qui malgré tout me plaisait plus que tout. La neige était tout ce qui me maintenait sur ce banc, cependant elle ne me rappelait pas que mon plaisir éphémère de me retrouver seul, mais aussi la vie que j'avais mené jusqu'à présent. Une vie monotone, une vie qui n'avait été remplie que par des larmes – expressions de ma mélancolie - qui coulaient sur mon visage tous les jours, sombrant jusqu'à mon cou, rampant jusqu'au bout de mes doigts. Parfois sans raisons et d'autres fois avec raison.

Je pensais que ma vie était inutile, qu'elle n'apporterait jamais rien.

Je regardais la neige et je me disais que sans cette existence qui était la mienne, le monde serait le même aujourd'hui. Les trains continueraient de marcher vers des chemins inconnus, cette jeune fille avec sa guitare continuerait de chanter, ces deux étoiles continueraient de s'enlacer, et la neige elle, continuerait de tomber.

Aucune vie n'aurait changé si la mienne n'avait pas eu lieu d'être, simplement parce qu'elle n'en avait impacté aucune. Personne ne pouvait se souvenir de moi et personne ne voulait se souvenir de moi. Mais cette neige, elle tombait entre les mains que je lui tendais, afin de lui faire une place l'espace de quelques instants, avant qu'elle ne finisse par succomber entre mes doigts. Puis le liquide pleurait jusqu'au sol, s'échouant violemment, mais au moins après m'avoir accordé une certaine attention.

Mon visage devenait glacial, les larmes qui l'habitaient s'en trouvaient refroidies par la basse température qui durait depuis maintenant plusieurs semaines, et grâce à laquelle j'arrivais à me trouver un certain réconfort.

Autour, tout le monde m'ignorait, personne ne posait ne serait-ce que son ombre sur moi. Un jeune homme, assis sur un banc, les cheveux noirs complètement anéantis par la neige, habillé également uniquement par cette même nuance de couleur. Il est vrai que personne ne devait vouloir m'approcher, et qui le voudrait, sincèrement ? Pourquoi est-ce qu'une seule personne aurait voulu venir, et se poser près de moi, pour m'adresser ne serait-ce qu'un seul misérable mot ?

Je ne devais pas être moi-même, à ce moment-là, parce que l'idée que rien n'allait, et que rien n'irait jamais, ne pouvait pas trouver la porte de sortie de mon esprit, l'idée d'une solitude éternelle restait plantée là, comme un parasite qui persistait à exister.

Je m'étais perdu à l'instant où j'avais perdu tout espoir.

C'était ça ma vie à ce moment précis, au moment où tu as décidé de rentrer dedans. Et jamais je n'ai compris pourquoi tu m'avais adressé la parole cette première fois, puis d'autres.

C'est vrai, tu m'as approché et tu étais le premier, le premier à me parler pour me demander la raison de ces larmes cristallisées.

Il m'arrivait de me souvenir de nos conversations ; je les ai vraiment aimées. Mais je me souviens surtout de ce jour, où tu m'avais finalement demandé mon nom.

Quand je te l'ai dit, tu m'as souri tellement fort, si fier d'enfin le connaître. Ce moment-là m'a profondément marqué, parce que c'était la première fois que je voyais quelqu'un dégager un aussi beau sourire, que j'étais la raison même de ce sourire, et que c'était à l'instar d'un cadeau. Et quand tu m'as dit ton nom à ton tour, quand il a passé la barrière de tes lèvres, je n'ai pas pu m'empêcher de te regarder dans les yeux, de fixer mon expression malheureuse dans la tienne, plus vivante. Et tu le savais que je souriais sous ce masque, je sais que tu le savais, parce que tes yeux sont devenus si joyeux d'un coup.

Le garçon qui aimait la neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant