Quand t'as eu des hémorroïdes, tu peux plus croire à la réincarnation. Quelle âme saine d'esprit voudrait rempiler pour un corps qui laisse le champ libre à cette sensation-là ? C'est aussi impossible à décrire qu'un bouquet garni. Quelques feuilles de chatouilles, une grosse branche de honte, de la douleur, du picotement et de l'embarras... Toutes ces saveurs se mêlent et s'emberlificotent pour garnir les tréfonds de tes tripes. Ton fondement arqué à tout jamais par cette impression : « hémorroïdes ».
Ce mot divise l'humanité. Quand tu le prononces dans une salle, tu peux séparer les gens en deux clans. Ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Les bouches qui se pincent, les fesses qui se contractent, les joues rougissantes : tu peux les mettre dans le premier. Les regards qui n'ont pas eu ce léger voile de panique primale et endolorie, ce sont les autres. Ceux qui ne savent pas. Qui ignorent cette vérité simple :
Les hémorroïdes sont l'antithèse de la réincarnation.
Ce n'est pas tant une question de douleur. D'intensité de la douleur. Sur l'échelle des bobos, cette douleur ne doit pas grimper bien haut. Cette douleur terrasse non pas par sa force, mais par sa géographie. Elle est placée à l'endroit où il ne faut pas avoir mal. Où la chatouille rejoint le supplice sans passer par la case fou-rire. Il ne s'agit pas que de la honte... La honte vient après, et rend l'expérience aussi parfaite que si elle l'avait photoshopée. Il s'agit d'une torture conditionnant les moindres faits et gestes de ta vie, sous peine de réveiller les électrodes que tu as dans le cul. La gégène que ton rectum a lui-même fait pousser. Tu développes un réflexe de Pavlov par en dessous.
NON tu ne veux pas t'asseoir.
NON, tu ne veux pas goûter à ce délicieux curry.
NON tu ne veux pas te mettre en colère.
NON et mille fois NON, tu ne veux pas te retrouver en cavale, dans une 205 pourrie, à sentir toutes les vibrations d'une nationale. C'est con, mais on n'imagine pas Thelma s'arrêter dans une pharmacie histoire d'acheter à Louise le petit coussin gonflable ad hoc. Le U de la honte.
Je préférerais que ma vie soit un road-movie. Déjà parce que dans le sandwich Susan Sarandon-Brad Pitt, je jouerais bien le rôle du jambon. Et ensuite parce qu'il n'y aurait plus qu'à s'arrêter à la prochaine falaise pour déclencher le générique de fin et retourner à des occupations normales. Genre faire chuter ma tension et calmer cette boule de nerfs sur laquelle je suis assis.
Au lieu de ça, je trace la route à la place du mort pour fuir des gens qui aimeraient bien que je le devienne. Ah oui : on en veut à ma vie. À le lire comme ça, ça doit avoir l'air classe... Mais dans ma réalité c'est pas si romanesque. Ou disons que là, maintenant, tout de suite, le romanesque me fait une belle jambe. Voire deux. #privatejoke.
Et pourtant, ceci n'est qu'une histoire. Si tu dois retenir qu'une seule chose, retiens ça :
Tout est une histoire. Un conte, un scénario, une narration.
Le problème, c'est que t'as attaqué le conte par le mauvais bout. Parce que moi je suis le méchant. Et quand tu prends le méchant pour un héros, l'histoire peut aller loin (surtout si t'as le droit de voter #oups #digression). Je sais : j'ai commencé à t'attendrir avec ma cavale et mes hémorroïdes. Et ma façon de te tutoyer. Je t'avais presque mis de mon côté.
C'est normal : c'est comme ça que commencent les bonnes histoires. Avec un gars qu'un détail rendra tellement humain que tu vas t'y attacher et t'y identifier. Le héros. Puis ce héros découvre sa quête... et du coup toi aussi, tu la découvres. Puis on te présente les adjuvants (alliés) et les opposants (ennemis). Du coup y'a plus qu'à dérouler la narration.
Tout ça c'est du #storytelling. Du racontage d'histoires. Que tu t'en rendes compte ou non, tu fais ça tous les jours dans ta tête. Pour interpréter tes collègues, tes camarades de classe, ta famille... Tu déformes le monde sous cet angle. Histoire que, à chaque fois, le héros ce soit toi. Souvent, dans les opposants, y'en a un qui se dégage du lot. Un super ennemi. The bad ass evil vilain. Le méchant. C'est en général le rôle qu'on aime bien m'attribuer.
Et nous y voilà. Toi avec un héros tellement bancal qu'il se prend pour un méchant et moi à te raconter une histoire qui t'annonce qu'elle est une histoire. #fuckingparadoxal. Mais je voulais juste qu'on soit bien clair sur ce point : tout ceci n'est qu'une histoire. Rien de tout cela n'est vrai. Même pas « inspiré de faits réels ». NON. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé est purement fortuite. Ah, oui : et si jamais un malheur devait m'arriver durant l'écriture de ces lignes, ceci ne sert que de dernier doigt d'honneur. Mon testament, lui, est bien au chaud et ne demande qu'à faire exploser la vérité. #messagesubliminal. Dernière précision, l'histoire que tu lis est un récit fantastique.
Oui : tu as bien lu.