2 - Humiliée

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Lisa de Maestriani


- Aïda, où est Aïda ?

- Ici ! je réponds en sortant de ma loge avec hâte.

- Dépêche-toi ! Tu es en scène dans trois minutes. Vite !

Je me rends dans les coulisses avec empressement. Aujourd'hui, c'est la répétition générale avec costumes. Plus de pantalon large et de boots fourrées pour moi. À vrai dire, c'est une bonne chose. J'ai été terriblement désolée de rencontrer un si bel homme pendant ma pause de midi en étant accoutrée comme une hippie dépressive. J'aurais préféré le rencontrer aujourd'hui, par exemple, déguisée en esclave égyptienne. Ça a quand-même plus de gueule.

- C'est à toi !

Je me hâte sur scène, exaltée. Alors que je chante, en plein dans mon rôle, le directeur de l'Opéra entre en furie dans la salle.

- Kristian ! Venez immédiatement dans mon bureau.

En soupirant, le chef d'orchestre fait signe aux musiciens d'arrêter et le metteur en scène, Pål, se retourne.

- C'est possible de faire ça après ? J'ai besoin de mon régisseur.

- Non, ce n'est pas possible ! Il a fait un affront à la famille royale ! Kristian, comment pouvais-tu ignorer que le plus jeune fils du roi Ragnar était infirme ? Il n'a pas pu visiter les mécanismes de décor.

- Mais qu'est-ce que j'étais censé faire ? Le prendre sur mes épaules ?

Nous ne disons rien, tous catastrophés.

- On est au vingt-et-unième siècle. Si tu sais faire monter des projecteurs là-haut, tu peux très bien faire monter un homme. Y a des rampes, des monte-charges, mille et une solutions ! Je voulais faire ça dans mon bureau, mais puisque tu insistes, je vais faire ça ici. Tu es viré, Kristian.

- Mais c'est impensable ! hurle Pål. Comment on fait, sans régisseur ? On présente Aïda dans un mois !

- Va dire ça à la reine Aslaug.

- Bordel, grogne notre metteur en scène en plaquant les mains sur son visage.

Kristian, comme toujours, est nonchalant. Il hausse les épaules et prend sa canette. Il nous salue de la main et traîne des pieds jusqu'à la sortie.

- Salut, il dit en sortant.

Il ne semble absolument pas bousculé par la perte de son emploi. C'était pourtant un bon régisseur.

- Aïda, tu recommences ! On finit la scène et tout le monde s'en va, je dois auditionner des régisseurs au plus vite.

Lorsque je sors de scène et retrouve ma loge, je me rends compte que j'ai reçu un message. Je déverrouille mon portable et vois un numéro inconnu s'afficher.

Tu es libre demain à onze heures ? Ils font de bon cafés à Suntog Godt. I.

Je souris, me doutant qu'il s'agit d'Ivar, puisque je ne donne pas souvent mon numéro de téléphone.

Parfait. Je t'y rejoindrai. À demain.

J'imite son style de message expéditif pour lui renvoyer l'ascenseur. Je ne me laisse pas contrarier par cela, trop heureuse d'avoir un rendez-vous avec le garçon qui a le plus joli regard d'Oslo, si ce n'est de Norvège. J'adore son visage, je ne cesse d'y penser depuis notre rencontre, voilà une semaine.

Je passe ma soirée à m'apprêter, sélectionnant des tenues, me faisant des masques, des après-shampoings, et appliquant du vernis transparent sur mes ongles fraîchement limés. Je veux faire belle impression après ma rencontre en tenue décontractée.

Il est vrai que je suis un peu trop à l'aise, à l'opéra. Cependant, j'y passe la plus grande partie de mon temps... il est hors de question pour moi de répéter en talons hauts et en jupe. Demain, je rectifierai le tir.

Le matin venu, j'ai revêtu une jupe en jean m'arrivant à mi-cuisse, un haut jaune citron cintré avec un petit décolleté et des mules beige. J'ajoute à cela un bracelet en or Versace et des boucles d'oreilles ethniques siciliennes. Je me maquille rapidement, me contentant d'eyeliner et de mascara, et je laisse ma chevelure noire détachée. Je prends mon sac à main et me hâte dehors. J'ai peur d'être en retard. Je m'empresse de monter dans ma Fiat 500 et roule jusqu'à Grünerløkka. Finalement je suis à l'avance et j'attends bêtement devant le café. C'est un quartier huppé et un joli établissement. Normalement ici, je ne devrais pas être suivie par la presse. J'ai hâte.

- Pardon.

Je me retourne et croise le regard d'Ivar. Je lui souris sincèrement, heureuse. Il est encore plus beau à la lumière du jour.

- Ivar ! Bonjour.

Il fronce les sourcils et me dévisage. Il finit par écarquiller les yeux.

- Oh ! Lisa. Je ne t'avais pas reconnue.

- Je m'en doute. Ça doit changer des UGG et du gilet en laine, pas vrai ?

Il rit doucement et je trouve ça adorable.

- Eh bien, entrons, il dit.

Mon regard se détache enfin du sien et je remarque la présence de béquilles. Il n'a pourtant pas de plâtre. Et là, je comprends.

Comment pouvais-tu ignorer que le plus jeune fils du roi Ragnar était infirme ? Il n'a pas pu visiter les mécanismes de décor.

Tu es ici pour le travail ?

En quelque sorte.

Le jour où je l'ai rencontré, on avait pris notre pause déjeuner plus tôt car la famille royale venait visiter l'opéra pour admirer les restaurations. Bordel de merde. Il est Prince. Prince. Je ne suis pas préparée à ça. Je voulais une personne lambda, moi. Pas un musicien, pas un danseur, pas un noble, pas un prince !

Il se retourne et fronce les sourcils.

- Ça te dérange ?

Il a dû comprendre que j'ai capté. Oui, ça me dérange de sortir avec un homme célèbre, car je suis moi-même une femme célèbre et je ne veux pas être suivie deux fois plus par les paparazzis.

- Oui, je dis sincèrement.

Il soupire, mais ne semble pas surpris.

- Alors bon vent, il me dit.

Il ne tente pas de me retenir, de me convaincre de rester. Il ne me propose pas d'aller dans un lieu plus privé, loin de cette foule qui va le reconnaître et peut-être me reconnaître. Je ne dois pas lui plaire. Peut-être que dans l'obscurité du théâtre, et avec mes vêtements amples, il m'avait imaginée plus jolie. Plus mince. Peut-être que c'est pour ça qu'il ne m'a pas reconnue. Comme c'est humiliant !

Je me retourne et tente de marcher dignement jusqu'à ma voiture, retenant mes larmes. Je savais que je n'étais pas assez jolie pour lui. Qu'ai-je cru ? Un prince, en plus ! Je soupire et ignore mon estomac qui gargouille. Je ne vais pas manger, je vais travailler. Travailler plus pour oublier le râteau que je viens de me prendre.

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