Martinique

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Le cercueil se consumait derrière la vitre ignifugée. Audric faisait face à l'incinérateur, tenant fermement la main de sa petite sœur. Les ongles de Léa lui perforaient la chair, mais il n'esquissa aucun mouvement et ne laissa rien paraître de sa douleur.

C'était la première fois qu'Audric perdait un être cher. Bien qu'empli d'une sourde mélancolie, il ne savait pas comment exprimer sa tristesse. Il avait du mal à s'autoriser cette pensée, mais il était jaloux des larmes qui coulaient sur les joues de sa soeur.

Les employés du funérarium invitèrent les proches du défunt à quitter la salle et Léa lâcha enfin sa prise. Audric la regarda s'éloigner et rejoindre leur famille avant d'examiner sa main où perlaient quelques gouttes de sang. Cela ne lui faisait aucun effet. Son corps était comme recouvert d'une fine couche d'ouate qui l'isolait du monde extérieur. Il se retourna une dernière fois pour regarder le four dans lequel son grand-père se consumait. Tout cela lui avait donné envie de fumer.

Audric s'éloigna de l'entrée du funérarium et traversa le parking qui le séparait de la plage. Il s'assit sur le bord de mer et sortit son paquet de roulées. Il referma prestement le papier sur le tabac et le lécha puis sortit un zippo de sa poche et alluma sa cigarette en se protégeant du vent marin.

Quand il releva la tête, il aperçut un vieil homme assis à quelques mètres de lui, fixant l'horizon et tirant sans empressement sur une pipe.

Quelque chose dans la physionomie de cet homme qu'il avait vu assis quelques rangs derrière lui à l'église, lui rappela son grand père. Quand un rayon de soleil transperça le ciel nuageux et vint éclairer la peau ambrée du visage du vieil homme, Audric ne put retenir un frémissement. La ressemblance lui sembla tellement frappante qu'il voulut se lever pour aller se blottir dans les bras de cet homme qui lui rappelait tant le cher disparu.

Celui-ci ne sembla d'abord pas s'apercevoir de sa présence, puis tourna la tête sous la pression de son regard. Il le salua d'un petit signe de tête puis se remit à fixer l'horizon.

« Nous adorions regarder passer les bateaux avec ton grand-père dans notre jeunesse. »

Audric tourna lentement la tête vers la mer. Des chalutiers se découpaient sur l'étendue azur. Il resta quelques instants à les observer avant de se tourner vers le vieil homme.

« Excusez-moi je ne crois pas que nous ayons été présentés... » avança Audric.

« Oh, je suis un vieil... ami de ton grand père. Je m'appelle André. Tu dois être Audric ? Pierrot me parlait souvent de toi dans ses lettres. »

Audric acquiesça de la tête. André lui tendit une main frêle et osseuse qu'il serra un peu trop fermement. André, impassible, souriait toujours. Une lueur de sympathie passa dans ses yeux couleur océan.

« Vous vous connaissiez depuis longtemps ? »

« Plus de soixante ans. Nous vivions là-bas, de l'autre côté de la mer. » André esquissa un geste de la main vers l'horizon avant de continuer. 

« Tu vois cette pipe? C'est ton grand-père qui me l'a offerte avant son départ. »

Audric suivit du regard la main d'André replaçant la pipe au coin de ses lèvres.

« Vous avez grandi ensemble en Martinique? »

Le vieil homme eut un petit soubresaut et étouffa un cri d'étonnement. Il fixa longuement Audric avant de lui répondre d'une voix amusée, puis baissa le regard sur le sable qu'il effleurait de sa semelle.

« Oui, la Martinique, c'est là que nous vivions... »

Il marmonna une suite d'autres mots qu'Audric ne comprit pas (Cela devait être du créole, pensa-t-il sans réussir à s'en convaincre) avant de relever la tête.

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