Maintenant, voilà le moment que je redoute le plus, depuis quelques semaines déjà. Je ne veux pas dormir et refaire ce rêve, où un garçon ténébreux m'embrasse. La peur de me réveiller en sursaut m'envahit aussi, les draps au fond de mon lit, assise les yeux embués, des sueurs froides. Il faut que je me force à dormir, sinon je ne tiendrai pas longtemps avec tout le stress accumulé.
J'attrape un second oreiller, pour le caler sous le mien. Je m'allonge repassant comme chaque fois le film de ma journée, changeant quelques possibilités, corrigeant mes erreurs. J'ai déjà souhaité bonne nuit à Devon, après lui avoir expliqué l'emploi du temps pour la douche. Depuis un moment il a dû fermer les yeux et dormir comme un loir. Je n'ai pas fait part de mes craintes aux filles, qui comprendraient seulement que je fais des mauvais rêves et que je devrais prendre des somnifères. De mon côté je pense que ce ne sont pas de simples cauchemars. Mon cerveau bouillonne, je n'en peux plus de toujours devoir réfléchir, d'essayer de comprendre ce fichu mauvais rêve, tout simplement impensable et irréaliste. Je résiste mais le marchand de sable finit par gagner.
Le repos n'est pas de longue durée, j'ai fait un nouveau cauchemar, tout à fait différent des autres. On se jette sur moi. On ? Des centaines de personnes, qui m'arrache la peau, beaucoup sont couvertes de sang et hurlent. Je m'empresse d'aller dans la salle de bain. Je suis dans le même état que la nuit dernière, des larmes ruissellent sur mes joues, ma respiration est saccadée. Je laisse couler l'eau chaude sur mon visage pendant dix bonnes minutes ; jusqu'à ce que je me décide d'enfiler un long gilet et des bottes de cuir marron pour aller me promener dans le jardin. Ma tenue n'est pas appropriée, je porte ma nuisette bleue de glace qui m'arrive au-dessus du genoux et un long gilet épais de laine beige. Peu importe ... je ne vais pas à un défilé de mode. Je sors sans faire de bruit, passe devant la chambre de Devon, qui doit sûrement dormir à poings fermés.
J'arrive à ce que l'on pourrait dire la croisée des chemins. Maintenant le jardin n'est plus très loin, je serai capable d'y aller les yeux clos. J'ai l'impression d'avoir fait ce chemin des centaines de fois, depuis que je suis en âge de marcher. J'entre dans le parc botanique, la lumière est allumée, alors qu'il me semble que ça n'est pas le cas d'habitude. Je continue d'avancer veillant à ne faire aucun bruit, pour ne pas réveiller les fleurs endormies. Je traverse le parc, mes bottes se tâchent de rosée. J'avance jusqu'à me retrouver face à l'immense baie vitrée. Je décide d'aller me loger dans une des alvéoles faisant face au spectacle de le vie sur Terre. Je ramène mes genoux sous mon menton, les encerclent de mes bras, admirant le paysage offert à mes yeux. La morsure du froid de la vitre pourtant agréable, me donne des frissons. C'est l'une des rares fois où j'observe le Monde. L'une des rares fois où je me sens libre de mes actes. Une des rares fois où il me semble voir la réalité en face, car tout autour de la bulle d'oxygène sur Terre, le paysage est totalement désolé, sans un signe de vie. Peut-être qu'en l'observant attentivement et en essayant de le comprendre, je serai enfin capable d'écrire et d'offrir au Régent le recueil ou le livre qu'il attend. Il faudra que j'en parle dès demain à Devon, car malheureusement je ne peux pas faire cavalier seul.
Après cet instant de réflexion et d'observation, mon pouls est redevenu normal, ma cage thoracique est comme libérée d'une pression. Mon angoisse s'est dissipée. Je devrai repartir dans la chambre et me rendormir mais n'ai plus sommeil. Je vais rester éveillée ici et les nuits prochaines je reviendrai avec une couverture pour mieux dormir. Mes cauchemars cesseront peut-être si la nature me protège...
J'écoute la nature, son silence apaisant et réconfortant. Soudain, un bruissement de feuille me fait sursauter, je ne suis pas seule, ils viennent me chercher, car je ne devrai pas être là. En même temps je mérite bien une sanction ou le bannissement pour avoir enfreint deux fois dans la même journée les règles de l'Institut. Le son des bruissements se rapproche. Je trésaille. J'identifie leur direction : dans mon dos. Je me retourne, me retrouve face à Devon, qui met sa main sur ma bouche. J'écarquille les yeux. Je ne m'y attendais pas, lui qui était censé dormir ! Passé l'effet de surprise, je le fusille du regard. Il sait que je ne vais pas crier, retire sa main et la pose sur mon épaule. Il me regarde dans les yeux, j'attends une explication.
DEVON : Qu'est-ce que tu fais là ?
MOI : Euh ... je ... eh bien comme j'ai fait un cauchemar, je suis venue ici, parce que je m'y sens protégée (je ne sais même pas pourquoi je me justifie, alors, je durcis mon ton). Mais de toutes manières j'allai me rendormir, c'est plutôt moi qui devrai te poser cette question.
DEVON (semblant être amusé par ma répartie) : Je n'arrivai pas à dormir dans mon nouveau lit. Tu allais te rendormir ici, dans cette alvéole à la vitre sûrement glacée ? Tu risques de tomber malade.
MOI : Je n'ai pas besoin qu'on s'inquiète pour moi ! Tu es arrivée comment ici ?
DEVON (avec son sourire arrogant) : Oh ! Mais c'est qu'elle mordrait cette jeune fille. Tu veux vraiment savoir ?
MOI : A ton avis pourquoi je te pose la question ? Pour établir une discussion, ça tu peux toujours rêver. Tu es juste là pour travailler, pas pour te balader !
DEVON (un peu plus sérieux, murmurant à mon oreille) : Si tu veux tout savoir, je suis venu te rejoindre dans ta chambre, tu en es partie au moment où j'arrivai, alors je t'ai suivi.
Je le regarde, dégoûtée par ce qu'il vient de me dire, je recule, il était bien trop près de moi. Je ne comprends comment ils ont pu choisir quelqu'un qui ne sait pas se tenir en compagnie de la gent féminine. Pour mettre plus de distance, je refais un pas en arrière. La morsure du froid me saisit, je viens de me coincer toute seule. Au vu de ma tête, Devon éclate de rire, j'ai l'impression d'être dans un de mes cauchemars. Je veux me réveiller. Ce n'est pas un rêve. Il se rapproche de moi.
DEVON : Et puis, une de tes camarades de chambre, bien moins mignonne que toi je dois dire, m'a donné le plan.
MOI (dans un murmure) : Alice ...
DEVON : Oui, c'est elle, merci.
Il se rapproche de plus en plus. Je ne sais pas ce qui va se passer, j'ai honte de vous le dire mais j'ai peur. Il m'attrape contre lui, me caresse les cheveux, prend une mine plus sérieuse.
DEVON : Désolé, je ne voulais pas t'effrayer. Ce n'est pas vrai, je n'ai jamais voulu te rejoindre, je sais me tenir quand même et je ne t'ai pas suivi. Moi, aussi, je fais des cauchemars et me sens protégé par ce brin de nature que nous offrent les serres botaniques.
Je me détends un peu, le sentant moins menaçant. Il me réchauffe. Mais une question me trotte toujours dans la tête.
MOI : Comment a-t-elle pu te donner une carte sachant que nous ne pouvons pas faire d'impression ?
DEVON (resserrant son étreinte) : C'est une carte holographique. Elle l'a fabriquée en forme de dé, avec un interrupteur sur la sixième face. Elle est moins bête que ce qu'elle en a l'air ...
Il continue de me caresser les cheveux. Je tente de le repousser mais une douleur dans le torse me paralyse, je n'ai pas la force de m'écarter plus de lui. Devon me prend la tête entre ses grandes mains. Lentement il approche ses lèvres des miennes, avant qu'il ne m'embrasse je suis par terre, à genoux, la douleur m'envahissant. Je sais qu'il me regarde, il doit bien se moquer de moi, mais je ne peux pas lutter contre les larmes qui affluent. Je ne veux pas retourner à l'infirmerie, et puis de toute manières les circonstances seraient étranges. L'infirmière de garde se poserait des questions sur le fait de m'être retrouvée seule en pleine nuit, avec notre invité masculin.
Devon s'assoit à côté de moi, je le repousse aussi fort que je peux, même si je dois lui faire mal. Il ne bouge pas d'un centimètre. Il finit par renverser ma tête sur ses genoux, poser sur mes épaules sa veste zippée. Il attend tout simplement que je me calme. Je ne peux plus lutter.
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Apprends moi à nager
Science FictionLa Terre n'est plus celle que nous connaissons. Elle a été dévastée par les vils agissements des Hommes. Aujourd'hui, seule la population adulte vit sous une cloche sur Terre, alors que les enfants, dès l'âge de trois mois, sont envoyés en pensionn...