en route pour l'amerique

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Flor

Après être sorti de la ville et avoir roulé dans les plaines arides pendant une bonne trentaine de kilomètres, le 4x4 se stoppe. C'est là que je descends. C'est là que commence mon périple accompagnée par des dizaines de jeunes  filles mexicaines, comme moi. Elles partent elles aussi pour l'Amérique. Sauf qu'elles n'y vont pas pour les mêmes raisons. Je les vois attendre en groupe près d'une cabane abandonnée. On dirait un troupeau de moutons , dociles, prêts à se livrer à l'ennemi et aller à l'abattoir. La plus vieille doit à peine avoir la vingtaine. Toutes rêvent d'eldorado. D'une vie meilleure. Et vu l'état dans lequel elles se trouvent, toutes doivent venir de familles pauvres, sans le moindre bien, qui ont du les vendre à une chaîne de passeurs pour  une bouchée de pain afin de nourrir leurs plus petits. Elles n'ont pas encore conscience de cette réalité. Ces passeurs  les troqueront sans aucuns scrupules comme esclaves sexuelles pour une poignée de billets . Des gens qui ont fondé leur fond de commerce sur la détresse des autres. Je ne suis peut être jamais sortie de chez moi mais je sais comment ça fonctionne, je connais la situation économique de mon pays. Un si beau pays corrompu par des hommes ivres de pouvoir et de richesse et qui laissent crever  leur peuple sans lever le petit doigt. Tout cela me révolte. Bien que je ne puisse pas  comprendre l'étendu de leur malheur , je ne viens pas d'une famille pauvre bien au contraire, je peux compatir car elles vont perdre le droit à leur liberté, leur libre arbitre, la possibilité même si elle est faible de faire leur propre choix et cela je connais. Seulement , malheureusement, j'ai déjà bien à faire de ma propre situation.

J'inspire à fond , tire la poignée de la porte et descend. Je me lance dans le grand bain. Aucun filet de sécurité. Il n'en faut pas plus au 4x4 pour démarrer sur les chapeaux de roue et repartir dans un nuage de poussière. A croire qu' elle n'attendait que cela pour se débarrasser de moi. De toute façon, Stefania, la femme de main de ma mère n'a jamais pu me piffrer et je ne suis pas en reste non plus.  Femme de main, vous avez bien entendu. Il n'y a que des femmes qui gravitent autours de ma mère. cette dernière déteste les hommes et nous a élevé dans ce concept là. Je hais Stéfania de toute mon âme. Elle est celle qui  de toute  est la plus loyale à ma mère et fait appliquer ses directives. Elle n'a rien à envier aux hommes: grande d'un mètre quatre-vingt, brune aux yeux noirs, elle atteint les quatre-vingt kilo facilement.

J'étudie mon environnement d'un oeil méfiant. Tout est nouveau pour moi. J'ai toujours vu ces paysages dans des documentaires ou dans des films. On ne m'a jamais non plus laissée seule en présence d'inconnus. Pour ceux que je n'avais jamais vu, avant de les rencontrer, je connaissais au moins les détails de leur vie. Je m'avance donc d'une démarche prudente près de l'homme petit et rondouillard qui me fixe de son regard de fouine. Il me tend une main  paume levée vers le ciel,  et je lui remet l'enveloppe contenant le prix de ma traversée. Dix mille dollars américains à vu de nez. Trop cher payé pour "voyager" à l'arrière d'un camion transportant du bétail, une goutte d'eau dans l'océan pour ma mère. Mais cela servira entre autre à corrompre le douanier qui fermera les yeux sur notre passage à la frontière. 1500 kilomètres nous attendent. 24 heures de route si tout se déroule comme prévu. 

L'homme nous rassemble . Nous sommes trente. Trente à nous regarder .Trente à nous observer.  Trente à nous demander ce qui nous attend au bout du tunnel. Oh moi je sais déjà que je n'aurai pas la vie que tout le monde espère. De toute façon, on m'a bien fait comprendre depuis petite que cette vie n'était pas pour moi. Les cartes étaient faussées dès le départ. Tout le monde ne peut avoir une main gagnante à tous les coups. C'est mon cas. Comme celui de mes soeurs d'ailleurs. Nous sommes toutes dans le même bateau. A la différence qu' elles sont beaucoup plus malléables et dociles que moi. La rebelle de la famille.

-Vamonos! Rapido! no podemos quedar aqui! (Allons y! depechez vous! nous ne pouvons rester ici)

Nous nous mettons en marche toutes les trente et montons à l'arrière du camion transportant des cochons. L'odeur est épouvantable mais c'est un des seul camion à semi ouvert qui laisse circuler l'air tout en nous gardant à l'abri des regards. Puis nous voyageons de nuit. Si tout va bien, la frontière devrait être passée au petit matin.

SAGA THE DEVIL'S SHADOW : DEVIL ET FLOR PARTIE 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant