Journée sombre

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Yugo glisse la cuillère dans le sucrier en céramique qui contient la poudre d'orange. La cuillère lui semble lourde entre ses doigts. Il verse le contenu dans une tasse, ajoute l'eau brûlante, remue doucement. Il a accompli la même tâche depuis des années, mais aujourd'hui, tous ses gestes lui paraissent incertains.

Le majordome traverse la pièce pour rejoindre son maître, attablé à son bureau, occupé à écrire. Mais à peine eut-il le temps de s'approcher d'avantage que Vladislav, sans un regard pour son serviteur, tendit brusquement la main en sa direction. Sans qu'il n'ait eut à la toucher, la tasse explose.
Yugo, surpris, manqua de lâcher la coupole encore intacte dans sa main.

- Lord...?

Dit-il, l'air préoccupé mais toujours étonnement calme.

- Tu peux me refaire une tasse sans stresser autant ?

Râla le Comte qui n'avait même pas levé les yeux pour profiter de son oeuvre. L'habit de Yugo était trempé et ses doigts avaient rougis sous la mixture encore bouillante. Un autre jour, cette simple vision l'aurait amusé. Mais aujourd'hui, il règne dans le manoir une ambiance pesante, et Vladislav ne contraste pas avec la froideur de cette matinée.

Yugo comprend qu'il n'a pas réussi à cacher son anxiété à son maître. Il est bien le seul à percevoir en lui ces micros émotions.

- Mes excuses. C'est Aya. Je ne m'habitue pas au cercueil. Je n'ose pas vous demander comment vous vous sentez, et si vous voulez que je déplace son corps le temps que vous finissez les faire-parts.

Avoua t-il, sachant très bien que c'est ce qu'attend son maître par son silence.
En effet, il y a devant le bureau une grande table qui les sépare, avec dessus un cercueil ouvert sur le corps d'une vieille dame aux longs cheveux blancs. Elle a sur la poitrine un carré de tissu rouge en velours. Ses yeux sont clos, ses lèvres encore illuminées de rouge à lèvre violet.

Vladislav leva enfin les yeux vers son majordome, arrêtant d'écrire au milieu d'une phrase.

- Tu m'as déjà vu mal aller? Et même, je t'ai permis de me poser la question ? Tu devrais-

Commença t-il, visiblement irrité, mais se coupa lui même dans son élan pour baisser la tête, puis passer les deux mains sur son visage un instant.

Il reprit d'une voix calmée :

- Tu devrais t'approcher.

Yugo obéit. Il contourna la table, puis le bureau, pour s'approcher de son supérieur.
Vladislav s'assit sur le bureau, croisa les jambes dans sa longue jupe noire. Il posa ses mains manucurées sur le visage de son majordome, des mains réconfortantes.

- Tout va bien, tu entends? Aya ne souffre plus. Et moi, je deviens le plus riche Esgreaves de toute l'Angleterre. La seule chose qui devrait te préoccuper, c'est qu'on va devoir aller distribuer tous ces faire-parts à la con à tous les p'tits copains de ma tante, qui côtoyait beaucoup plus d'humains que je l'ai cru. Okay? Va mettre un habit propre, et appelle Andrew pour qu'il amène Aya à la morgue.

Yugo hocha la tête. Vladislav sourit. Puis, en faisant glisser ses mains sur le visage de Yugo dans une dernière caresse tendre, il lui fit comprendre qu'il pouvait disposer.
Et le majordome obéit.

Surtout reste beauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant