Introduction

266 18 5
                                    

Je pousse sur mes bras le plus fort que je le peux pour rejoindre ma chambre d'hôpital, mon fauteuil roulant couinant à chaque avancée. C'est devenu un son qui me hérisse les poils, un peu comme les personnes qui ont en horreur ceux qui traînent des pieds. Énervée par cette journée interminable, j'ouvre plus fort que prévu la porte qui claque contre le mur de la salle de bain. Surprise, ma colocataire pour ce mois-ci passe son visage par le battant me toisant sans ménagement.

— Quoi ! Je cingle en lui balançant le regard le plus noir qu'il m'est possible de lancer.

Pour toute réponse, elle secoue la tête et retourne à son occupation. Irrité, je souffle bruyamment et commence à répertorier mes affaires pour la nuit. Depuis plusieurs années, je suis réduite à ses gestes répétés presque à heure fixe. Je pioche dans une boîte de gants, puis celle où se trouvent mes sondes urinaires et pour finir les poches de recueil. Je remarque avec un goût amer que tout a été préparé et qu'aucun ciseau n'est à ma disposition... Avant que tout ne parte en vrille, personne ne s'inquiétait de savoir s'il y avait quoi que ce soit de dangereux, dans cette pièce minuscule.

Lorsque la salle de bain est enfin vide, je me précipite à l'intérieur pour me laver les dents et c'est là que j'y découvre l'un des précieux objets interdits : un rasoir. Mentalement, je me bats du mieux que je peux pour résister, pour ne pas succomber à la tentation... Mais, depuis que j'ai perdu les piliers les plus importants de ma vie, je ne trouve plus de sens pour avancer... Alors, je termine mon brossage, repose le tout sur le rebord de l'évier et m'empare de la lame après avoir ouvert le peigne. Étonnamment, ce petit morceau de métal pèse lourd dans ma main. Difficilement et non sans grande peine, je lève la tête pour dévisager mon reflet dans le miroir et ce que j'y vois me dégoute, me faisant loucher à nouveau sur l'objet en acier.

— Pardonne-moi mama...

Dans un geste de désespoir, je l'approche de mon poignet et l'entaille doucement une première fois, puis une deuxième et après plusieurs secondes ma vision se brouillent. Je vois flou, mes mains sont poisseuses de sang et je n'ai plus la force de continuer. Je n'ai qu'une envie : m'endormir et ne jamais me réveiller.

La dernière chose dont je me souviens, c'est le bruit sourd de mon corps tombant sur le carrelage, le hurlement de ma compagne de chambre et l'agitation du personnel médical avant que je ne ferme enfin les yeux.

━━━━━━━━※━━━━━━━━

Ce sont les bips stridents des appareils qui m'ont sortie du sommeil, les chuchotements des infirmières derrière le rideau et une sensation de froid... Alors que je me laisse bercer par cette douce mélodie qu'est la mort, allongée sur un lit d'hôpital, une femme métisse d'une trentaine d'années apparait dans l'encadrement de la pièce. Il n'y a aucun jugement dans ses yeux brillants, quelque chose dans son regard me dérange, mais il m'est difficile de comprendre ce que c'est.

— Bonjour jeune fille, me dit-elle de son agréable voix. Arrives-tu parler ?

Je la fixe telle un fantôme et hoche faiblement la tête sans être sûr que ce soit possible. En douceur, elle se rapproche calmement et tire un tabouret à roulette pour s'assoir près de moi.

— Vous êtes un ange ? Je souffle plus pour moi que pour elle.

— Non, ma petite, je n'en suis pas un, loin de là. La femme lâche un rire dans lequel la tristesse et la mélancolie se mélangent. Pourrais-tu m'expliquer pourquoi tu as fait cela ?

— Je... Je ne l'endurais plus. Un sanglot me bloque la gorge pendant quelques secondes.

Celle que je suppose être une infirmière pose délicatement sa main sur mon avant-bras et reprend :

— Lentement petite, ne t'épuise pas avant la fin. Que ne supportais-tu plus ?

— Mon état, ou plutôt mon handicap... Les médecins... Ils m'avaient pourtant dit que je remarcherais un jour... Mais, il n'y a plus d'espoir, je resterai en fauteuil jusqu'à ma mort. Et ma mère... Des larmes me montent aux yeux, mes sanglots me donnent de plus en plus de mal à respirer.

— Petite, j'ai une question à te poser, j'aimerais que tu me répondes sincèrement.

Je remue la tête, trop faible pour répliquer.

— Si je te dis qu'il y a bien une solution afin que tu vives et que tu remarches, accepterais-tu de te battre ?

— Comment... Mais... une vive douleur au cœur me prend m'empêchant de continuer. La jeune femme lève une main devant elle pour me faire taire.

— Je désire simplement une réponse sincère et la seule chose que je souhaite entendre, c'est oui ou non. Alors, je te le demande une nouvelle fois, veux-tu mon aide ?

À ce moment-là, l'occasion est trop belle, finalement si c'est un rêve, je me réveillerai au fond de mon lit, et si je suis déjà morte, c'est un fantôme. Je la fixe attentivement des yeux pour qu'elle perçoive ma détermination, et je lui fais un signe affirmatif de la tête. Un sourire illumine son visage et se penche en douceur vers mon oreille.

— Je m'appelle Louise ma petite et à partir de maintenant, je serais ta créatrice. Le monde dans lequel tu revivras demain ne sera plus celui d'aujourd'hui. Un long apprentissage t'attend certainement, mais sache que je serai toujours près de toi. À présent, ferme les yeux et laisse-toi aller, car tu risques d'avoir mal.

Son souffle caresse ma nuque faisant naître un désagréable frisson, elle se redresse et me lance un dernier regard. C'est à ce moment-là que je m'aperçois que ce que je prenais pour un sourire lumineux quelques minutes plus tôt n'est autre que les canines de Louise. Éclairées par un rayon de lune qui a réussi à se glisser par la fenêtre dans la chambre. Elles me paraissent démesurées, anormalement pointues et j'en viens à regretter ma décision. Qu'est-ce qu'il m'est passé par la tête de faire confiance à cette femme !

 Mon corps ne m'obéit plus. Je ne peux plus bouger ni parler, je me sens à la fois lourde et légère. Louise se penche de nouveau à ma droite trop près de mon cou, pendant que mon regard reste fixé sur le plafond. La seule chose que je ressens une pression nette sur ma peau tendre, la douleur de la morsure laisse rapidement place à un vif échauffement, une brûlure atroce. Celle-ci se répand dans tout mon être, dans toute ma carcasse. Chaque centimètre de mon être me consume, que ce soit mes bras, mes doigts, et même mes jambes alors qu'il y a encore quelques minutes, je n'avais plus de sensations... Les irradiations sont intenables et mon corps est excessivement raide. Une larme roule sur ma joue gauche, pendant que Louise continue de m'injecter par ses canines, son affreux poison en s'agrippant toujours à mes épaules, comme si elle se délectait de mon sang. Une fois terminée, elle se redresse avec mon hémoglobine sur le coin droit de sa bouche, qu'elle essuie à l'aide d'un mouchoir et me saisit la main.

— Comment t'appelles-tu ma petite ?

— Val... Valentina. Je dis, à bout de force.

— Valentina, je resterai avec toi, n'ait pas peur et n'empêche pas la transformation...

Louise n'a pas le temps de finir sa phrase que je suis parcouru de secousses, de tremblements, et d'un coup sec mon dos se tord dans un angle défiant toute logique pour un corps humain. C'est à ce moment-là qu'il ne trouve rien de mieux à faire que de s'évanouir, laissant ma dépouille à la merci de Louise et à ce poison qu'elle m'a injecté.

C'est de cette manière que j'ai rencontré ma créatrice, une personne que je prenais pour infirmière qui souhaitait simplement prendre soin de moi après la dernière tentative que j'ai fait un début d'un soir d'automne.

Valentina Tome 1 : un monde nouveauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant