Lettre XXVIII, de Monsieur au Chevalier.

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Comme toujours tu as raison, en demeurant à Calais je ne suis bon à rien ni à personne. Ma cousine m'a rendu visite, mais je crois bien qu'elle n'en peut plus de m'entendre me plaindre à longueur de journée du climat humide et froid, des façades affreuses de cette cité, de ses plages aussi grises que le ciel, et de cette brume aux odeurs nauséabondes.

J'ai donc permis à mon épouse de rester puisqu'elle le désirait, quant à moi je vais repartir comme tu me l'as conseillé. Ma cousine m'accompagnera, elle n'a que cette hâte, de quitter cette cité et, je crois bien, ma compagnie. Personne ne me supporte plus, même toi. Je sens que tu n'en peux plus de lire mes complaintes à longueur de journée. Je déteste être ainsi pour vous tous, insupportable.

Alors je rentre, mon épouse me rejoindra à Versailles, ce n'est pas un voyage de plus qui l'épuisera, et puis j'ai le sentiment qu'elle est en meilleure forme quand je suis loin. Revenir à la Cour me fera le plus grand bien, j'espère pouvoir y préparer nos retrouvailles. Plus que celles avec mon épouse, c'est les nôtres que j'attends et j'espère.

J'ai bon espoir que mon frère mette fin à ton exil. Henriette a réussi ses négociations, je sais de source sûre que l'accord sera tel que mon frère le voulait. Il ne pourra plus refuser ton retour, puisqu'il l'a promis et que Henriette lui a dit préférer devoir te supporter plutôt qu'avoir à subir encore longtemps ma mauvaise humeur. J'ai le cœur rempli de joie en sachant cela, qu'enfin mes tourments prendront fin.

Dans quelques mois, nous pourrons partir en guerre contre la Hollande. Toi et moi, je l'espère. Comme nous le faisions autrefois. Te souviens-tu de notre premier baiser ? Je jouais alors aux infirmiers, il n'y a pas meilleure manière de séduire quelqu'un, tu en conviendras. Pendant que je pansais tes blessures, je t'ai fait la cour, et tu as fini par céder à mes avances. Sans doute est-ce du fait de la fièvre que tu avais.

Nous étions alors si heureux, tu étais alors tout pour moi et je crois bien avoir été, pendant cette longue guérison, tout pour toi. Il n'y avait rien d'autre que nous deux et le tonnerre des boulets de canon, que mes caresses et embrassades et le bruit de la fureur des combats au loin, c'était comme si nous étions seuls en quelque île sauvage, avec la nature vrombissante à nos oreilles. J'ai toujours aimé le raffut des champs de bataille.

Je sais bien que nous ne retrouverons jamais la perfection de la naissance de notre idylle. Aucun couple n'y parvient. Mais nous pourrions être heureux à nouveau, j'en suis persuadé. Le simple fait de pouvoir t'enlacer à nouveau, t'étreindre contre mon cœur, de sentir ton parfum, la douceur de tes lèvres me remplira de joie.

Ton absence me rend si mélancolique, tu avais raison, je suis devenu mortifère pour tout le monde, surtout Henriette. Même loin de moi, elle continue de m'être insupportable, sa présence m'indispose et me rend aigre, méchant, presque cruel. Je m'en rends compte, en te lisant, en t'écrivant. J'ai le souhait que les choses changent, que nous changions, mais je crains que ce ne soit possible en l'état. Quand je lis ses lettres, je ne vois que d'habiles manipulations alors, je vais suivre tes conseils. Revenir à la Cour pour préparer la guerre, cela m'occupera l'esprit en attendant ton retour.

Je me languis tant de toi, j'espère qu'il en va de même de ton côté. J'ai appris que tu fréquentais Marie de Mancini. Tu sais, j'imagine, qu'elle a séduit mon frère alors qu'il n'était qu'un adolescent. Il se cherchait une épouse et c'est précisément à cet instant qu'elle lui a mis le grappin dessus en lui envoyant des lettres passionnées. C'était d'un ridicule achevé, tout le monde voyait bien son manège. Tout le monde sauf mon frère.

Il est tombé dans le panneau comme le premier des imbéciles. Je suis convaincu que c'est le plus grand monarque que la France n'ait jamais eu, mais à l'époque il était encore jeune, naïf et surtout, il manquait d'assurance. Le Cardinal et Mère décidaient de tout pour lui, et choisir d'aimer Marie c'était une forme de rébellion adolescente, j'en suis certain.

Quoi qu'il en soit, il est tombé dans ses griffes et ensuite, il ne voulait plus épouser les princesses que lui destinaient le Cardinal et ma Mère. Il préférait épouser Marie et risquer le scandale et le retour de la Fronde qu'on avait si ardemment combattue. Il aurait tout perdu pour cette intrigante ! Et personne n'arrivait à lui faire entendre raison ! Nous avons dû tous nous y mettre, même Athénaïs qui déteste pourtant faire des leçons de morale. Mère a été très dure avec lui, mais c'était nécessaire.

D'ailleurs, ce qui prouve bien qu'elle ne songeait qu'à faire un beau mariage, c'est qu'aussitôt que mon frère a fait signe de se désintéresser d'elle, elle s'est jetée dans les bras d'un prétendant et l'a épousée aussitôt. Cette femme ne songeait qu'au pouvoir, qu'à l'argent, et je doute qu'elle ait changé.

Tu dois l'avoir remarqué, non ? Qu'elle est une intrigante ? J'ose espérer qu'elle ne tourne pas auprès de ton frère. Tu aurais à redouter le pire avec pareille engeance. Je t'engage à le prévenir du type de femme qu'elle est, et à te méfier d'elle et de ce qu'elle pourra te dire et faire.

Hélas, je sais bien que tu es loin, et que ce visage connu et familier de Marie doit te rappeler un peu la Cour, mais je ne pense pas qu'elle soit digne de ta compagnie ni de celle de ton frère.

10 juin 1670, Calais

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant