Ultime évanescence (BxB)

Evan - I -

« Quatrième année parmi nous, c'est impressionnant ! »

Son verre déjà à moitié vide, je contemple ma collègue Irina s'extasier devant mon parcours.

« Et ce n'est que le début ! lui souris-je.

— Personne ne te laissera partir. Tu as accepté toutes les basses besognes pendant tes trois années. Maintenant que tu nous rejoins à plein temps, tu seras rapidement remercié.

— Je ferai tout pour me rendre indispensable, compte sur moi ! »

Le clin d'œil associé à cette assertion est sincère. J'apprécie Irina. Notre relation a été complexe. Lors de mon recrutement, elle doutait. Elle en avait le droit après tout. Elle s'inquiétait pour la cohésion de l'équipe. Une espèce d'extraterrestre allait arriver dans un groupe déjà très uni.

Le risque était réel. Il a été pulvérisé par l'OVNI en question. Je suis devenu, malgré moi, du fait de mon comportement et de mes activités, une locomotive. Il paraît que je suis la source de motivation, ou de challenge, tel que l'on peut parfois le dire, de toute l'équipe. J'en suis ravi.

Non, en réalité, je m'en moque. Je ne suis ici pour copiner avec personne. La vie m'a conduit à Aix pour poursuivre mon chemin et exercer. Alors j'exerce. Librement, sans contrainte. Peu importe que je sois utile ou non au groupe. Je travaille tout autant de chez moi qu'à mon bureau.

Mais j'apprécie Irina. Elle a eu l'audace d'être honnête. Pourtant, aujourd'hui, c'est avec elle que je travaille le plus et le mieux.

« Tu crois que l'on aura fini pour vendredi ? reprend-elle.

— A-t-on vraiment le choix... Si nous voulons pouvoir présenter le dossier en juin...

— Il faut que l'on termine. Je sais. Nuits blanches ?

— Nuits blanches. Ou efficacité.

— Je ne suis pas comme toi hélas. Chez toi ou chez moi ?

— Et bien... »

Sans ambiguïté. Du moins, au bout de la quatrième année. Je ne sais pas si je suis beau. Ce n'est pas aisé. Se regarder dans un miroir ne vous donne pas la réponse. Ni le regard des autres. Cependant, Irina, en dépit de ses doutes, ou bien peut-être grâce à eux, s'est rapidement éprise de moi.

Éconduite poliment, elle réitéra ses avances deux ans plus tard. Le résultat fut le même. Sans que je ne justifie cette réponse négative. Le temps passe, je suis désormais pleinement intégré ici. Il y a quelques mois, la vérité fut écrite au détour d'un message.

Désolé, je ne suis pas disponible ce soir. J'ai un date, il m'amène au théâtre.

Le coming-out le plus discret du monde et le plus efficace. Je révélais enfin une partie de ma vie privée après trois années de silence et j'annonçais par la même occasion que je penchais pour les hommes. Plus aucune avance ne fut de rigueur.

Cette annonce présentait-elle un risque ? Telle fut ma réflexion pendant un an. J'ai compris bien trop tard que non. Après tout, je suis le seul maître à bord désormais. De ma vie professionnelle comme de mes jardins privés. Les indignés le seront toujours. Je n'ai pas à les observer, à les regarder dans les yeux ou à tenir compte de leur présence.

L'information a rapidement été diffusée, tout simplement parce que je commençais à réduire ma disponibilité le soir. Je n'avais pas, au début, de difficultés à travailler tard la nuit. Petit à petit, je déclinais les invitations aux réunions trop tardives. Il faut dire que j'avais en contrepartie un homme fin gourmet qui me faisait découvrir aux frais de la princesse les plus hauts lieux de la gastronomie.

Jusqu'au jour où nous nous sommes rendus compte qu'Axel et moi étions plus à l'aise avec l'amitié. Heureusement, nous n'avions jamais été dans un lit pour une autre raison qu'y dormir. Axel est toujours présent dans ma vie et continue, en tant que critique culinaire, à faire virevolter mes papilles.

« Tu n'es peut-être pas seul, excuse-moi, se reprend-elle.

— Détrompe-toi. Disons chez moi. Mon bureau fera l'affaire. Et tu auras ma chambre d'amis ».

Elle sourit. Irina est une excellente chercheuse. Alors nous travaillons parfois ensemble. Pour autant, moi, je suis avocat et professeur de droit. Ma priorité restera toujours mes clients et mes étudiants.