Mordre à l'hameçon

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« Vous n'êtes pas d'accord avec moi ? »

Dans la tête d'Otsu, des mains invisibles saisirent la question de Fisherman et s'y agrippèrent, ramenant l'attention de la jeune femme sur son client comme on se hisse sur une corde pour échapper à une chute vertigineuse. Vertigineuse et mortelle.

« Excusez moi mon ami, bien sûr que je suis d'accord avec vous. »

D'accord, très bien, elle ignorait seulement de quoi il s'agissait.

« Je suis désolé, ma conversation vous ennuie sûrement, vous sembliez un peu ailleurs... »

Ca c'était vrai, mais cela n'avait rien à voir avec Fisherman. En réalité, cela faisait un moment qu'Otsu n'écoutait plus un traître mot de ce qu'il disait. Charmant et sympathique, parfois amusant, mais pas toujours très intéressant ce garçon. Il était encore possible de se rattraper pourtant.

« Je vous avoue avoir un peu perdu le fil. J'étais... J'étais en train de vous observer... »

Et elle baissa la tête en portant une main à ses lèvres. Quand elle redressa le museau, elle trouva Fisherman bouche bée, une légère rougeur sur les joues, son verre de vin suspendu à mi-chemin. Mince. Otsu l'avait cassé.

« Pardonnez mon indélicatesse mon ami.

- Oh non, non non... Enfin... Je suis... Je suis très flatté mademoiselle Otsu. Vous êtes vous même une femme charmante et je ne me lasse pas de votre compagnie. »

La catin posa une main sur le bras du client en lui offrant son sourire le plus sincère.

« Nous sommes deux dans ce cas. »

Le sourire de Fisherman avait le mérite d'être rayonnant, et certainement plus vrai que tous ceux qu'elle pouvait distribuer aux grès de ses besoins.

Otsu relança la conversation et se força à rester attentive. Ces absences lui arrivaient de plus en plus souvent, probablement causées par une fatigue saisonnière. Et la soirée ne faisait que commencer.

Elle écouta Fisherman raconter ses mésaventures de jeunesse avec son groupe d'amis, ceux là même qui, de l'autre côté du salon, encourageaient une Emi pieds nus juchée sur leur table. Elle devait danser tout en évitant les verres qu'ils mettaient sur son chemin. Et pour en mettre toujours plus, ils devaient payer davantage de consommation. Dame Yukari serait bien contente à la fin de la soirée. Fisherman était probablement le plus sage de cette joyeuse compagnie, et Otsu appréciait son calme débit de parole et sa voix douce. Il lui parla longuement des terres agricoles qui allaient avec son nom et ses titres, et comme il aimait à s'y promener tous les weekends avec sa famille.

« J'aimerai beaucoup vous y emmener un jour ma chère. Nous pourrions partir tôt le matin, avec un pique-nique, et nous asseoir dans l'herbe, près des champs de coquelicots. Aimez vous ces fleurs ?

- Je les adore ! Ce rouge si intense est un ravissement pour les yeux. Ce sont, je crois, mes fleurs favorites. »

Otsu mentait, bien sûr. Elle aimait les coquelicots, mais pas à ce point. Mais si cela faisait plaisir à Fisherman, elle pouvait bien se décider à les adorer.

« Votre proposition est si tentante mon ami ! Si je pouvais vous dire oui, je vous sauterai au coup et vous embrasserai cher Fisherman, mais malheureusement nous n'avons pas le droit de voir nos amis en dehors de l'Oeillet, soupira la jeune femme, l'air déçu.

- Je le sais bien, je le sais bien... Depuis la fuite de l'une de vos sœurs... Fisherman fixa son verre, les lèvres pincées.

- Comme vous êtes bien informés ! »

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