Sayana
Tap, tap, tap, tap. Le rythme régulier de mes pas martelant le sol lisse des couloirs se mêlait à ceux d'Elora.
Et puis ceux de ce garçon aussi. Celui qui avait fait péter les plombs dans la grande salle. Et qui nous avait aussi sauvé la mise par la suite d'ailleurs. Je ne connaissais même pas son nom, mais au point où on en était, ça ne valait pas la peine de le renvoyer. Je ne savais pas par quel miracle il se contrôlait. Ses pupilles étaient toujours dilatées, signe qu'il subissait toujours les effets du sérum d'oubli, mais il n'avait pas ouvert la bouche une seule fois pour signaler notre présence et avait désobéi aux ordres directs de ses supérieurs.
Elora m'impressionnait beaucoup également. Au moment où elle avait fait irruption dans la chambre de Kris, en lutte contre le poison qui coulait dans ses veines, j'avais d'abord cru que tout était perdu. La dose d'antidote que je lui avais administré n'avait pas été suffisante et j'allais perdre mes amis à nouveau. J'étais en proie au doute, prête à tout laisser tomber lorsqu'elle était réapparue quelques minutes plus tard, Kris inconscient dans les bras. L'elfe avait retrouvé son état normal – de manière temporaire du moins –, et m'avait pressé afin que je dégage le seuil pour la laisser sortir, comme si tout ce qui se passait était tout à fait normal.
Elora avait refusé que je l'aide à porter Kris, soutenant que nous serions plus lentes dans nos déplacements. Comme ce n'était pas faux, je m'étais tue et nous avions déguerpi dans la direction opposée à la grande salle, sans savoir où nous allions débouler.
Alors que nous passions devant une sorte de placard à balais, le garçon qui manipulait l'électricité et qui avait fait sauter les plombs avait surgi de nulle part. Il nous avait violemment poussé Elora, Kris et moi dans le placard en question. Un peu sonnée, j'avais d'abord eu du mal à le reconnaître, et alors que je m'apprêtais à me mettre en position de combat, j'avais remarqué la raison qui l'avait amené à nous bousculer. Deux hommes en blouse blanche, leurs tablettes à la main, marchaient d'un pas précipité depuis l'endroit où nous nous dirigions un instant plus tôt. Ils s'arrêtèrent à la hauteur du grand brun, posté devant la porte du cagibi dans lequel nous nous cachions.
— Au rapport matricule 2761, avait grincé le premier homme entre ses dents.
Elora et moi retenions notre souffle. On était cuits. Mon cœur était à deux doigts de sortir de ma poitrine tellement il cognait fort. Pourtant, après un moment, notre gardien répondit sur un ton des plus égale:
— Je suis parti à la recherche des matricules 2708 et 2079 comme on me l'avait demandé, mais je ne les ai pas trouvés ici.
Pourquoi ce gars nous aide-t-il? m'étais-je demandé.
Il avait menti à ses supérieurs et nous avait couverts. La seule explication plausible était qu'il n'ait pas succombé aux effets du sérum. Une fois les deux hommes partis, je lui avais désespérément posé des questions, mais autant parlé à un mur. Finalement, au moment où il avait enfin daigné se retourner vers moi, j'avais croisé son regard. Indéniablement, ce garçon était toujours sous l'emprise du sérum, mais d'une manière ou d'une autre, il réussissait à garder le contrôle. J'étais certaine de ce que j'avançais: non seulement ses pupilles étaient si dilatées que ses yeux en paraissaient presque entièrement noirs, mes en plus, ses mouvements étaient saccadés, comme ceux de tous les autres élèves-soldats quand ils se retrouvaient au repos. Elora m'avait lancé un regard effaré. Ni elle ni moi n'y comprenions quoi que ce soit. Une question de plus à rajouter sur ma longue liste mentale...!
Et nous en étions là. Elora me suivait, force de la nature, portant Kris comme une princesse. Et derrière nous, le grand brun. Il ne nous avait pas adressé la parole, et je n'avais même pas réussi à lui arracher son nom. "Matricule 2761", ce n'est pas un nom ça! Je me refusais à l'appeler ainsi; ce serait se rabaisser au niveau des adultes qui avaient fomenté le Tri.
— Sayana, tu sais où tu vas là? m'apostropha Elora à bout de souffle, me coupant dans ma réflexion.
— Euh... Je... Pas vraiment, avouais-je. J'essaie de nous faire sortir d'ici...
— Mais c'est un vrai labyrinthe, termina mon ami en esquissant un faible sourire. Oui, je sais. En plus, je n'ai pas trop prêté attention au chemin que nous avons emprunté à l'aller.
— C'est simple: on est partis de la salle des conseils et l'on a tracé tout droit vers l'Est. Par contre je ne sais pas combien de temps on a marché...
— Il y a une question que je me pose Sayana... Comment se fait-il que tu te sois retrouvée là? Mais surtout, comment as-tu fait pour... comment dire, te délivrer de leur emprise?
Je fixais le couloir sombre devant moi. Notre chemin était à nouveau éclairé par ces curieuses algues phosphorescentes.
Elora accéléra le pas et vint se placer à ma droite.
— Sayana, parle-moi. Je sais qu'il y a quelque chose que tu nous caches.
Ce disant, elle se mit face à moi, me bloquant le passage. J'étais partagée entre fierté et agacement. D'un côté, j'étais vraiment heureuse de remarquer à quel point mon amie avait pris de l'assurance en l'espace de quelques semaines, mais d'un autre, ses petites questions m'embêtaient. Je savais bien qu'il allait en parler tôt ou tard, mis la brûlure de la révélation de Sam était encore trop vive. En plus, je me sentais coupable de notre situation. J'avais foiré sur toute la ligne: sur ma décision de quitter l'orphelinat sans mes amis, sur le fait d'avoir cru, ne serait-ce qu'un instant, à réussir à sortir sans problème, et même maintenant, j'étais perdue! Nous marchions, mais vers une sortie qui n'existait peut-être que dans ma tête, Kris était toujours mal en point et voilà qu'Elora voulait me taper la causette?
— Moi j'ai rien demandé, je comprends même pas pourquoi j'suis là alors que je ne suis même pas une Other!
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OtherWorld - 1. Et cognoscetis veritatem
FantasyL'OtherWorld est en guerre depuis plusieurs dizaines d'années. Les enfants ayant perdu leurs parents sont envoyés dans un orphelinat où ils peuvent étudier jusqu'à leurs 16 ans. Sayana n'a aucun souvenir d'avant son arrivée à l'établissement alors...