Chapitre 3

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La première nuit a été un enfer, le sommeil s'est présenté que très tôt dans la matinée. Le plus dur a été les cauchemars, venus m'assaillir après plus de cinq ans de tranquillité. Mon accident ne m'est pas revenu en mémoire ou en rêves. Pourtant, hier soir, une information a changé, me perturbant davantage que les fois précédentes... L'impression de les vivre à nouveau.

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— Mama ! Je sors avec mes amis, à ce soir !

Je dévale les escaliers de notre maison familiale, en mettant ma veste en cuir. Par la porte de la cuisine attenante à l'entrée, une tête à la chevelure cuivrée dépasse après s'être penchée. Elle est si belle qu'elle m'intimiderait presque si elle n'était pas ma mère. Ses yeux en amande de couleur azur la rendent quasiment féérique. Me jaugeant de la tête aux pieds, elle s'attarde sur mes tennis « de clown » comme elle aime si bien les appeler et pince les lèvres.

— Val, ma chérie, quand vas-tu jeter ses immondices ? dit-elle en pointant mes pieds.

— Mama ! Je bougonne. Ce ne sont pas des immondices, elles sont magnifiques et en plus, c'est la mode !

— La mode, la mode, eh bien, elle est vilaine votre mode ! Tu vas avoir 20 ans le mois qui arrive ! Habille-toi en femme mio cuore...

— Mama ! Je me changerai plus tard, mes amis m'attendent.

En rejoignant l'entrée, je fais une moue boudeuse, celle qu'elle aime tant.

— Sois prudente Valentina ! dit-elle en me serrant dans ses bras d'une façon inhabituelle sans lâcher mon petit copain des yeux.

Son regard est si insistant sur Lorenzo, que je me sens mal à l'aise pour lui. Contrairement à lui, qui lui lance un sourire de conspirateur.

Aaah, Lorenzo ! J'en aurais des choses à raconter sur lui. Ma mère l'a détesté dès la première fois qu'elle l'a vu. Et moi, je suis tombée éperdument amoureuse de lui, de ses boucles brunes, de ses pupilles qui ressemblaient à des pépites d'or, son nez aquilin et son grain de beauté dans le coin de son œil droit. Il me faisait vivre un conte de fées, jusqu'à ce jour d'été, durant une sortie entre amis...

Lorenzo avait invité ses cousins de Naples pour les vacances. Lucia la plus jeune est vite devenue mon amie, elle était drôle avec de grands yeux verts qui lui donnaient une touche exotique avec son teint légèrement plus blanc que les Italiens. Ses frères eux n'avaient pas le même caractère qu'elle, ils étaient plus solitaires, moins excentriques, et très observateurs. Je ne les appréciais guère, mais par amour, on fait bien des choses...

Ce jour-là, nous devions aller dans un parc pour l'après-midi, Lucia souhaitait réviser avant la fin des vacances et je voulais en profiter pour bronzer encore un peu. Mais, au lieu d'emprunter le chemin habituel, Lo' a effectué un détour. Il roulait trop vite, ne regardait pas la route, une bière à la main, et un virage trop prononcé à provoquer notre chute. Je me souviens de chaque bruit, de chaque hurlement. La collision a été si violente que j'ai été éjectée du véhicule. Après avoir dégringolé de plusieurs mètres, je ne sentais déjà plus mes jambes et une douleur me prenait dans tout le dos. Lorsque j'ai réussi à retrouver mes esprits, je ne voyais ni mes amis ni la voiture. De la fumée s'échappait d'un amas de tôles froissées, du sang coulait du siège conducteur et un bras dépassait de la portière arrière gauche qui s'est arrachée dans le choc. Un corps gisait à quelques mètres de moi, je crois que c'est Antonio, l'un des cousins de Lorenzo. Des sirènes retentissaient faiblement, plus loin de notre position.

En observant la forêt face à moi, la partie de mes souvenirs qui a mystérieusement été effacée me revient de plein fouet. La chose que j'avais oubliée plus, ou plutôt la personne que dont je ne me rappelais plus depuis quelques années se trouvait là, contre d'un arbre, caché par les ombres des feuilles. Malgré la fumée qui m'entoure, je n'ai aucun mal à reconnaitre les pupilles perçantes qui me contemple. Elles sont de la même couleur que les rubis. Il se redresse en me voyant tapoter près de moi pour chercher ma sacoche, j'ai l'impression qu'il vole au-dessus du sol tellement il se déplace silencieusement. L'homme affiche un sourire qui n'a rien de rassurant, j'en ai la chair de poule.

— Que me voulez-vous ?! J'articule soudain, paniquée.

— Valentina ? m'interroge-t-il, surpris par mon canif que je viens d'extirper de ma besace.

— Comment savez-vous mon prénom ? Je renchéris en essayant d'étouffer ma peur en resserrant un peu plus ma prise.

— Valentina, écoute-moi s'il te plaît, j'ai peu de temps. Dit-il en me frôlant tout en s'écartant soigneusement de l'objet de sa crainte.

— Je refuse de vous obéir ! Je m'écrie.
Les sirènes se rapprochent dangereusement de notre position, faisant tressaillir l'homme face à moi. Par manque de temps, il s'avance tout en m'examinant tristement.

— Je te promets de te retrouver dans quelques années, jeune fille, et tu comprendras tout, je te promets de te dire la vérité.

Ma panique est si forte que je me débats. Sa figure étant à proximité à ce moment-là, la lame de mon couteau suisse lui traverse le bas de son visage vers sa mâchoire. Son regard, plein de douleur due à sa plaie et à ce qu'il m'arrive, me brise le cœur. Mes mains couvertes de son sang libèrent la prise du canif, mon dos me fait horriblement souffrir depuis que je gigote dans tous les sens. Je n'aurais pas dû bouger, je n'aurais pas dû blesser cet homme... À cause de ma peur, de mon imprudence, ma vie a changé du tout au tout. Avant que l'inconnu ne parte et que les secours arrivent, je me surprends à lui demander :

— Qui êtes-vous ?

Au temps qu'il met à me répondre, je ne pense pas en avoir, mais pourquoi en souhaiterais-je ? Pour m'excuser ou pour me venger ? Me venger de quoi exactement ? Après de nombreuses minutes, il me regarde, le visage tordu de douleur.

— Je m'appelle Ian.

Sans rien ajouter, il retourne dans la direction des arbres avant que la première ambulance ne parvienne près de moi et que je sombre dans l'inconscience...

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Je me réveille paniquée et recouverte de sueur. Mon lit est collant, mes cheveux sont trempés et ma gorge me fait mal d'avoir hurlé dans mon sommeil. Au pied de la couchette, je ne le vois pas immédiatement, mais je ressens sa présence. Les nerfs en pelote, je me redresse et le toise.

— Je comprends à ton regard empli de colère que tu te souviens enfin de moi. Me dit Ian, toujours dans l'ombre de ma chambre.

— C'est votre faute si je me suis retrouvée dans ce fauteuil roulant pendant aussi longtemps !

Mes larmes sont encore présentes sur mes joues et ma voix est rauque d'avoir hurlé dans mon sommeil.
— Je t'ai promis de tout t'expliquer Val et je le ferai, mais pas ce soir, tu dois te rep...

— Que faites-vous ici ? Je demande en lui coupant la parole tout en remontant mes draps sur ma poitrine, recouverte d'un simple débardeur.

— Je t'ai entendu crier... Me répond-il gêné.

— Sortez et n'y entrez plus jamais ! Je siffle le cœur battant. Mes hurlements ne vous autorisent pas à pénétrer dans ma chambre. L'intimité, vous connaissez ?

— Rendors-toi, demain est un jour chargé. Dit-il sur le pas de la porte.

Il me lance un dernier regard triste et la referme derrière lui, m'abandonnant seule face à ma peine et mes larmes qui continuent de couler. En reposant ma tête sur mon oreiller, mes yeux atterrissent sur la fenêtre ouverte, laissant les rayons de lune me caresser le visage. Même en automne, je déteste manquer d'air et ce ne sont pas les pluies d'Écosse qui changeront mon habitude.

Après avoir tourné et retourné dans ce lit qui n'est pas le mien, dans ce château qui n'est pas le mien, je me surprends à repenser à Lo, à Lucia... Je fais la promesse et de venger ma famille et de savoir ce qui s'est réellement passé.

Valentina Tome 1 : un monde nouveauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant