Evan - XX -

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Installé sur les hauteurs de la faculté, je vois la silhouette d'Enzo se dessiner. Ses cheveux, sa chemise entrouverte. A défaut de vapoter, je bois mon café. Je constate son amertume, heureusement adoucie grâce au lait versé à l'instant. Enzo et moi avons pu nous voir la semaine dernière.

Quelle péripétie. Si j'avais imaginé que la seule idée de venir chez moi le mettrait dans un tel état, je n'aurais pas rompu notre habitude. Nous aurions poursuivi nos aventures charnelles chez lui et j'aurais évité à mon étudiant une telle bouffée d'anxiété. Je n'ai pas aimé cet instant. Même si je suis fier d'avoir si rapidement compris.

Enzo est sensible. Dans le sens le plus heureux du terme. Il devient capable de déceler chez moi les pensées qui me préoccupent ou les idées qui m'animent. Il ignore évidemment que cette soudaine vulnérabilité n'est pas hasardeuse : j'ai envie de l'être. La fragilité ne se décrète pas, la confiance si.

S'il me voyait, il me regarderait. S'il savait que je l'observe, il rougirait. J'ai appris à le connaître, il ne peut en être autrement désormais. Son aplomb majeur n'est que temporairement suspendu lorsque je le titille. Rapidement, Enzo réagit et redevient le perturbateur que j'apprécie.

« Que fais-tu ici à cette heure ? Tu n'es pas en cours ?

— Bonjour Irina, merci de te soucier de mon emploi du temps.

— Oh, excuse-moi, Monsieur est de mauvaise humeur ».

Non, mais tu te préoccupes de sujets qui ne sont pas de ton ressort. Alors, oui, je n'apprécie que peu. Surtout, te parler risque de faire refroidir mon café que j'aime chaud. Enfin, je suis contraint de me retourner pour te répondre, alors que ma vue était ciblée.

« Les licences ont été insupportables avec mes chargés de travaux dirigés, alors j'ai pris des dispositions à la hauteur de leur immaturité : une interrogation surprise.

— En cours magistral ?!

— En effet.

— Et... ils sont tous là ?

— Tu connais la réponse à ta question... Et, surtout, tu imagines la décision que j'ai prise pour ces absents ».

Le silence de ma collègue me permet de reprendre ma posture initiale. Enzo n'a que peu bougé, fort heureusement.

« Avec eux aussi, donc, tu ne peux t'empêcher d'être si bienveillant ? Protecteur ? »

Si je n'étais pas retourné, Irina aurait vu mon trouble. Qu'insinue-t-elle ? Ce n'est pas ainsi que je me perçois. Du moins, pas tout le temps. Pas avec tout le monde. Je reste impassible en dépit du malaise qui grandit.

« De tous les chargés de cours que compte cette faculté, tu es le seul à prendre sous ton aile les doctorants ou les chercheurs qui ont accepté les travaux dirigés associés à tes cours. Entre eux et les étudiants, tu choisiras toujours ton équipe. C'est pour cela que je suis assez fière d'être ta collègue. Entre autres sujets.

— Merci, Irina. Ce que tu dis me touche. Vraiment.

— Tiens, un nouveau pendentif ? Je n'avais jamais vu cette tête de tigre, si ? »

Ma réponse évasive suivie du jet du gobelet dans la poubelle empêche Irina de tout questionnement supplémentaire. Je suis préservé de la curiosité quasi-maladive de ma collègue. Je sais très bien que sa venue portait initialement sur nos travaux, mais c'est un sujet qui m'importe relativement peu en ce moment.

Je dévale les escaliers et rejoins la rue. Enzo est, en diagonale, à une dizaine de mètres de moi. Je marche. J'avance. J'oublie. J'efface temporairement de ma mémoire son corps nu collé au mien. Je néglige ses mots. Je suspends mes souvenirs de ses lèvres. Je suis impassible. Je passe.

Au loin, à cause du quasi-silence autour de moi, j'entends la phrase. J'entends le mot-clef. Ces pierres rouges... Elles comptent. Les gouttes de sang sur une épée en argent. Les yeux rubis d'un tigre accroché à mon cou. Vous ne comprendrez pas. Vous ne saurez jamais. Ce lien-là vous dépasse.

« Tu es sûr de ce que tu fais, Evan ?

Je veux que tu le portes. Je sais qu'il t'intrigue depuis le début.

C'est vrai... Mais... Dans ce cas-là, laisse-moi remplacer le pendentif par une autre pièce.

Je refuse que tu débourses le moindre centime.

Avant que l'on ne m'offre la chevalière, j'avais acheté cette tête de tigre, aux yeux rouges. Accepte cet échange, s'il-te-plaît ».

Tous deux torse nu, une pièce en argent trône désormais sur notre peau. Chacune imprégnée de l'autre.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant