Evan - XXIII -

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Je prends le temps de me calmer. La première fois qu'Enzo m'a embrassé, le temps semblait s'arrêter. Il faut que je reproduise cet état, cette sensation. Je ne peux évidemment pas reproduire l'acte créateur, pas maintenant du moins, mais il suffit que je me souvienne. Rien de plus qu'imaginer ses lèvres pourrait suffire.

Autrement dit, je dois me remémorer chaque moment passé avec lui, de sa tentative évincée jusqu'à notre dernier échange dans ce même bureau. Chaque fois qu'il s'est collé à moi, qu'il a laissé sa peau se découvrir pour que j'y passe ma main, qu'il s'est déchaîné sur mes lèvres pour que je comprenne.

Le temps ralentit, j'ai réussi. Je peux donc, comme si rien n'existait, paisiblement m'appuyer sur la rambarde du rooftop. Ma respiration est lente. Peut-être que si je la retenais, la distorsion du temps s'accentuerait. Ce serait splendide. La fumée que je venais d'inhaler ressort de ma bouche.

Elle crée un nuage, un brouillard, une façade. Un mur se dresse face à mon interlocuteur, il ne peut rien dire, il ne peut rien faire. Je suis ici le professeur de droit. Enzo et moi avons la relation que nous désirons, sans que personne n'ait à formuler de remarque. Qui que vous soyez pour lui, savez-vous seulement qui il est réellement.

Le temps reprend ses droits et la fumée que je viens d'expirer se retrouve entre Enzo et son frère. Le second reste interdit et attend une réponse à son exclamation. Le premier me regarde, protégé par le nuage que je viens de créer. Il y a quelques mois, je m'enfonçais dans la nuée pour disparaître aux yeux de mon étudiant. Aujourd'hui, elle le défend.

« C'est amusant que vous ayez les mêmes goûts que mon frère, reprend-il, en dépit du silence.

— Pardonnez-moi, j'étais perdu dans mes pensées, à quoi faites-vous référence ?

— Votre pendentif. Mon frère possède le même. J'ai bien conscience qu'à Aix vous devez avoir des boutiques similaires, mais je trouve cocasse que vous puissiez apprécier les mêmes bijoux.

— Je vous confirme qu'Aix est une ville civilisée, nous disposons de toutes les commodités et, sinon, il nous suffit de nous rendre à Marseille en quelques minutes.

— Toutes mes excuses, je ne voulais pas vous offenser. C'était une remarque tout à fait innocente.

— Si votre frère a choisi cette ville pour ses études, c'est assurément pour la qualité de sa faculté de droit, mais aussi parce qu'elle a un charme qu'aucune cité ne peut égaler. L'avez-vous sans doute remarqué en arrivant ?

— C'est vrai, j'ai fait la remarque à Enzo, d'ailleurs ».

Le petit frère en question reste silencieux. Son regard est bloqué sur le pendentif. Je ne suis pas convaincu que ce comportement soit le plus adapté. Ou, du moins, celui qui laverait cette anecdote de tout soupçon. Le frère d'Enzo n'a pas l'air aussi brillant que son cadet. Sans vouloir être désobligeant, il suffit de discuter quelques secondes avec l'un et l'autre pour en prendre conscience.

Muré dans une forme d'hésitation, Enzo ne daigne pas regarder son frère. Je n'ai d'autre choix que de me retourner pour admirer l'immeuble en face de moi et ainsi éviter que mon visage ne trahisse le problème qui émerge. J'ai l'impression qu'une vague est sur le point d'engloutir Aix.

Je ne manque pas, dans un maigre espoir, de faire claquer ma bague contre la rambarde qui me sert de soutien. Du coin de l'œil, je vois Enzo observer mon comportement. Les mêmes souvenirs me reviennent. Je me laisserais bien volontiers bercer par leurs charmes, mais la voix enrouée d'Enzo brise mes espoirs.

« C'est le mien ». Quelques mots qui risquent de bouleverser tout un équilibre. De faire vaciller une famille entière. De ravager une ville. Les bégaiements du frère conduisent Enzo à renouveler son propos. Deux fois. La propriété est avérée, après de telles affirmations.

« Pourquoi l'a-t-il autour du cou, alors ? interroge-t-il bien trop calmement.

— En guise de gage.

— Je ne comprends pas, Enzo.

— L'angoisse a pris le dessus pour le tournoi, alors il m'a prêté le pendentif qu'il portait pour ses procès. Un porte-bonheur.

— Donc tu as voulu lui prêter de ton côté un autre bijou.

— Exactement.

— C'est étrange ».

Si une cigarette était entre mes doigts, j'aurais sans doute déjà inhalé tout le tabac présent. Seul le mégot m'aurait résisté. Le vent renvoie la fumée derrière moi. J'imagine qu'ils doivent sentir l'odeur associé au parfum fruité. Peu importe, en l'état actuel des choses, leur degré de connaissances de mes goûts m'importe peu.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant