Prologue

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" Contempler son corps gisant dans son propre sang n'éveille en moi qu'une curieuse indifférence. La nappe rougeâtre formée autour d'elle confère une violence unique à la scène, tranchant avec la douceur de son visage. On aurait dit une représentation saisissante d'une peinture de Caravage, où Judith et Holopherne ne faisaient qu'un. Judith ne tranchait plus la gorge d'Holopherne, elle s'était tranché la sienne.

J'aurais peut-être dû prendre ses menaces plus au sérieux, bien que ce ne fut pas la première fois qu'elle évoquait le suicide. J'aurais dû prêter une oreille plus attentive. Elle est si belle dans cet état, dépourvue de vie. Peut-être que la vraie beauté réside dans l'absence de vie, dans le vide des émotions. Au moins, cette mine perpétuellement effrayée et anxieuse l'a quittée. Je ne l'ai jamais vue aussi sereine, elle qui pleurait pour un rien, s'énervait sans raison valable, s'inquiétait pour des futilités. Ses insécurités ont eu raison d'elle, mais ce n'était pas à moi de les endurer.


Ce n'était pas ma faute si elle m'aimait, ce n'était pas ma faute si je ne l'aimais pas en retour, ce n'était pas ma faute si elle vivait dans la peur de perdre quelque chose qui ne lui a jamais appartenu. Je ne peux pas être tenu responsable de sa mort ; je ne lui devais rien, ni attention, ni amour, ni fidélité, ni considération. D'ailleurs, je ne dois rien à personne, mon plaisir prime sur tout.


Pourtant, pourquoi cette scène me fascine-t-elle tant ? Devrais-je peut-être appeler la police ou les secours ? Mais comment expliquer cela ? Comment expliquer qu'une jeune femme se soit suicidée dans ma chambre, alors que tout ce que j'ai fait était de contempler le spectacle ?Je suis surpris par sa capacité à le faire, elle qui était si craintive. Se donner la mort pour si peu, Kate a été pathétique jusqu'à son dernier souffle. Elle était si faible, incapable de me dire non, pour quel amour ? Je vais devoir changer entièrement le revêtement de sol, vivement que les secours viennent enfin me débarrasser d'elle. Si elle est encore dans son corps, ce corps qui était mon unique intérêt, il est encore plus beau.


En lui tenant la main, je réalise à quel point elle a toujours eu des mains douces. Seulement, aujourd'hui, elles ne sont plus aussi chaudes ni aussi moites, elles ne sont plus animées par la vie. Kate est vraiment morte, et enfin, ce fardeau va cesser de m'encombrer.


Mais pourquoi mes larmes se mettent-elles à couler ainsi ? Je ne l'aime pas, je le sais. Je l'ai toujours clamé haut et fort. Que Kate le sache également, elle qui s'accrochait désespérément à cette chimère qu'est l'amour. Je lui ai dit cent fois 'Je ne t'aime pas, pars'. Aujourd'hui, elle est partie enfin. Je me demande bien où elle est. Peut-être au paradis, s'il existe. Les gens bien disent que c'est là qu'ils vont. J'espère que pour elle, ce sera plus agréable que son séjour sur Terre.Nos rares moments de plaisir qu'elle qualifiait si souvent de 'paradisiaques'. Je m'en souviens encore : elle cuisinait, nous riions, nous jouions et nous faisions l'amour avec une passion indomptable, pareils aux vagues d'une tempête.


Elle paraissait alors épanouie et heureuse, mais je ne m'étais jamais engagé. J'ai agi comme je l'ai fait avec toutes les femmes que j'ai connues. Pourquoi m'aimer ainsi ? Qu'est-ce que je représente ? Ne suis-je pas un homme comme les autres ? Kate était pourtant une femme belle et cultivée, l'objet du désir des autres hommes. Pourquoi s'accrochait-elle à celui qui était le moins intéressé ?


Était-ce moi qui étais vraiment désintéressé ? J'ai dit 'pars' mille fois, je l'ai suppliée de revenir mille et une fois. Elle n'était pas faible, je l'ai vue s'élever contre le monde pour une minuscule broutille. Elle savait dire non aux autres. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire ? Pourquoi est-elle morte ? Pourquoi ici ? Dans ma chambre ? Après toutes les choses qu'elle m'a dites ?


Alors pourquoi mes larmes coulent-elles de cette manière ? Je suis réellement confus face à mes émotions. Je suis pourtant convaincu de ne rien ressentir pour elle. Je l'ai crié haut et fort. Et pourtant, pourquoi est-il si difficile d'accepter son départ ? Pourquoi est-il si difficile de comprendre que je ne ressens rien pour elle ?"


John, d'ordinaire d'un calme glacial depuis que la jeune Kate s'était tranché la jugulaire sous ses yeux, était maintenant en proie à une explosion intérieure, tel un volcan prêt à entrer en éruption. Ses cris demeuraient inaudibles, étouffés par les larmes et le désarroi qui l'étreignaient, lui refusant tout mot. Il venait enfin de réaliser l'ampleur de ce qui venait de se produire. La simple pensée était insoutenable à cet instant. Les idées et les souvenirs se bousculaient dans sa tête, créant une cacophonie assourdissante. Et au milieu de tout ce chaos, la réponse à sa question fondamentale s'imposa à lui avec une évidence troublante.


Pendant ce temps, les forces de l'ordre enfoncèrent violemment sa porte, engendrant un fracas assourdissant.


- plus un geste !!!

John manque ses mains en évidence, le policier remarqua tout de suite l'arme que tenait le corps sans vie gisant sur le sol, puis la profonde détresse sur le visage du jeune homme.
Sur un ton bien plus calme, il lui demande

- qui êtes-vous ?!
- ...
- Monsieur qui êtes-vous pour cette dame ?
- Etais
- Qu'étiez-vous pour elle ?!
Après un lourd silence, John répondît
- l'enfer
- .....?!

L'enfer c'était moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant