Chapitre 2.2 - rework

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Wassalie

Je souffle en m'adossant au montant du lit. Je ferme les yeux quelques instants. J'ai besoin de calmer mon esprit. Je suis terrifiée à l'idée de devoir sortir de mon isolement. Je n'ai jamais été douée pour les relations avec les autres, trop éprouvée dans les premières années de sa vie.

Je vais être conduite au Palais de Myrtha. Comment vais-je devoir me comporter ? Vais-je supporter la proximité des autres ?

Je repense également aux Ghûls. Pourquoi s'en sont-elles prises à moi ? Diego et ses acolytes se sont-ils rendus dans ma cabane ? Ont-ils trouvé la pierre de réceptacle dans laquelle j'ai enfermé l'essence de l'Ombre ? Non. Il m'en aurait parlé. Et je serais probablement ligotée et emprisonnée si c'était le cas.

Nakpa relève la tête et étire ses pattes avant de se redresser.

— Oui, tu as raison, je dois me dépêcher. Que dois-je faire, Nakpa ? Dois-je m'enfuir ? Dois-je les suivre ?

Le petit renard baille en guise de réponse et saute du lit, trottinant sur le parquet abîmé.

Je soupire puis ôte la robe de nuit avant d'enfiler une tunique épaisse et chaude ainsi qu'un gilet en fourrure. J'observe mes pieds et mes mollets, encore couverts d'engelures malgré les soins prodigués. J'agite mes orteils et grimace sous l'effet de la douleur.

J'enfile le pantalon en cuir beige et les épaisses chaussettes avant de me chausser, non sans mal. Heureusement, les bottillons molletonnés qu'on m'a donnés sont légèrement trop grands. Je me lève et gémis lorsque le poids de son corps vient peser sur mes jambes. Mais je serre les dents et avance de deux pas. Ce n'est pas la première fois que mes pieds sont brûlés.

Quelqu'un, probablement la femme de l'aubergiste, a pris la peine de démêler et de coiffer mes longs cheveux noirs. Une grosse tresse pend entre mes omoplates et vient s'échouer sur la cambrure de mes reins.

Je m'approche du miroir posé sur la table haute et observe mon visage. Mon teint est plus pâle qu'à l'habitude. Mes joues sont creusées par les semaines de diète. Je fixe mes yeux sombres, dans lesquels je peux observer des pépites d'or briller comme des étoiles.

Mes lèvres sont gercées et craquelées. Autrefois, cette bouche avait été d'une sensualité redoutable, je me souviens.

Mon nez fin est en harmonie parfaite avec le reste de mon visage. Quelques taches de rousseur parsèment discrètement mes pommettes. Je reconnais à peine mon reflet. Je ne suis plus que l'ombre de ce que j'ai été autrefois.

Je sursaute lorsque Diego entre.

— Vous êtes prête ? me demande-t-il, visiblement étonné de me voir debout.

— Oui.

— Pensez-vous arriver à descendre les escaliers et à rallier les écuries ?

— Si vous m'aidez, je pourrais le faire.

— Je peux vous porter si vous le souhaitez.

— J'aime autant marcher, je réponds, refusant sa pitié. Laissez-moi m'appuyer sur votre bras, ça sera largement suffisant.

Il acquiesce puis s'avance vers moi. Il couvre mes épaules d'une cape épaisse avant de me tendre le bras. Je m'y agrippe et mets un pied devant l'autre, avançant laborieusement vers la sortie. Mon visage est crispé par la douleur mais je ne me plains pas. Pourtant, Dieu que j'ai envie de pleurer et de hurler !

Nous descendons les escaliers qui mènent à la salle à manger, presque vide. Quelques habitués sirotent de l'hydromel et savourent un plat chaud, bavardant allègrement. Je reconnais l'aubergiste au fond de la salle, qui discute vivement avec un compagnon. C'est un homme roux de forte carrure très sympathique. Son épouse, une femme âgée d'une cinquantaine d'année, vient à ma rencontre.

— Wassalie ! s'exclame-t-elle. Comment vous sentez-vous ?

— Bien, merci pour tout, Malla. Comment va votre fils ? je m'enquis.

— Il a pu reprendre une vie normale grâce à vous. Sa femme a même accepté qu'il réintègre le foyer conjugal ! Et elle attend un enfant !

— J'en suis heureuse.

— Prenez bien soin d'elle, Monsieur Diego, ajoute-t-elle à l'attention du Sang-Mêlé.

— N'ayez crainte, elle est entre de bonnes mains.

— Vos amis vous attendent aux écuries, précise-t-elle. Vos chevaux sont sellés et je vous ai préparé des sacs de vivres. Vous avez de quoi tenir jusqu'à la frontière.

— Merci encore pour votre hospitalité, Malla.

Nous sortons de l'auberge. Je rabats mon capuchon pour couvrir mon visage, agressée par des rafales de vents glaciales.

— Je ne sais pas comment vous faites pour supporter ce temps ! bougonne Diego.

— Je n'ai connu que le froid, je réponds. Toute ma vie. J'aime la neige. La glace. Le sentiment de force qu'elles nous procurent. Cette fraîcheur permanente qui ventile nos poumons nous insuffle la vie... Et nous brise. Le froid nous rappelle à chaque instant ce que nous sommes. Et ce que nous voulons être.

— Je n'avais jamais envisagé les choses sous cet angle, il concède. Peut-être pourrais-je en dire autant de la chaleur écrasante de Bogo'Ah ?

Je ne réponds rien. Diego sourit, me guidant lentement jusqu'aux écuries où nous attendent Egon et deux autres cavaliers, déjà en selle, le visage dissimulé sous leurs capes.

Le cheval de Diego est un étalon à la robe grise, tachetée de noir. Il est imposant, comme son maître.

— Vous permettez ? me demande Diego.

Il me saisit par la taille et me hisse sur le devant de la selle, à califourchon. La bête ne bouge pas et se contente de secouer sa crinière d'ébène. Je lui caresse l'encolure. J'ai toujours aimé les animaux. Nakpa ne semble pas rassuré. Aussi, il descend de mon épaule et vient se cacher sous ma cape, son petit corps roulé en boule contre mon ventre.

Diego enfourche son cheval, et vient se placer juste derrière moi. Je peux sentir son souffle chaud sur ma nuque tandis que, saisissant les rênes, il m'entoure de ses bras puissants.

— Vous êtes prête ? me questionne-t-il.

— Oui.

— Dans ce cas allons-y ! lance Egon avant de donner un coup de talon à sa monture.

Les quatre cavaliers s'élancent à la lueur de l'aube tandis que je mémorise chaque ruelle, chaque maison, chaque visage... Car peut-être ne reviendrai-je jamais.

EROBYE - Tome 1 : Le MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant