Chapitre trois : Liam

554 98 22
                                    


Liam serra les mains et accepta les accolades avec un sourire figé. Il y avait encore ce pastiche de réception à endurer. Il détestait ça, il ne comprenait pas ce besoin qu'avait les gens de bouffer à tous les événements. À un mariage encore, ça passait mais cette espèce de ravitaillement organisé après un enterrement lui paraissait de mauvais goût. Ses tantes y trouvaient un certain réconfort. Commander des plateaux de charcuteries, faire des salades et ne pas laisser les gens mourir de faim après une heure dans une église glaciale semblait aussi capital que de choisir les textes bibliques à lire.

Alors que tous quittaient le cimetière dans un très léger bruissement de conversations, comme gênés de vivre en ce lieu, Liam se tourna vers la tombe encore ouverte et les fossoyeurs qui attendaient que la famille se soit éloignée pour procéder à l'inhumation.

« Adieu maman, murmura Liam pour lui-même. »

Il avisa son père resté non loin lui aussi, perdu. Bien sûr qu'il était perdu, il avait toujours eu quelqu'un pour prendre soin de lui. Même ces dernières années quand le cancer avait rongé le corps de sa mère, son père n'avait pas plus appris à cuisiner ou faire une lessive. Tout au plus faisait-il les courses. Les tantes de Liam s'étaient chargées des tâches ingrates, ne voulant pas que leur sœur diminuée se fatigue pour tenir sa maison. Liam avait vu en son père un monstre d'égoïsme dans cet homme incapable de faire face au quotidien et de prendre en charge certaines choses pour soulager son épouse. Jusqu'à ce qu'il comprenne que son père en était tout bonnement vraiment incapable, il n'avait jamais appris à le faire et était trop vieux pour apprendre. On avait beau lui dire que c'était un autre temps, Liam avait du mal à l'accepter.

La fin de la journée passa dans cette lenteur hébétée des jours solitaires. Et Liam s'endormit après avoir essuyé des larmes silencieuses. Cette fois, c'était fini, il n'y aurait plus la course à l'espoir entre opération et rémission et la descente brutale au retour du cancer. Et ce sentiment horrible quand on en vient à souhaiter que ça se termine parce que la douleur de l'être aimé est trop forte. Quand on se résigne à la mort.

* * *

Le lendemain, la maison semblait triste et froide au lever du jour. Liam s'assit en face de son père et se servit un café. Il grimaça en le goutant et se leva pour aller chercher du sucre.

« Je crois que je l'ai raté, dit son père.

– Oh, tu peux arrêter de croire, il est infect.

– J'ai jamais su le faire. »

Liam haussa les épaules puis posa la boite de sucre sur la table. Son père aussi en ajouta dans sa tasse.

« On te trouvera une machine à dosette, un truc où y'a juste à appuyer.

– Ta mère savait faire du bon café.

– Elle savait tout faire, répliqua Liam. »

Son père sourit.

« Tout sauf...

– Beurrer des tartines, finirent-ils en chœur. »

Ils rirent. Étant petit, Liam se mettait toujours à pleurer quand ses tartines n'étaient pas beurrées dans les coins, comme si c'était la fin du monde. Cette anecdote le poursuivait depuis des années. Et même encore maintenant, il n'aimait pas que ses tartines n'aient pas de beurre partout, partout. Un petit souci de maniaquerie dont il s'accommodait assez bien vu que c'était le seul et l'unique.

« Tu repars quand ?

– Après-demain, répondit Liam, se demandant déjà ce qu'il allait pouvoir faire avec son père pendant deux jours. »

Flower (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant