Léni sent l'odeur de l'incendie lui monter au nez, au cerveau ; elle sent les vapeurs de combustion de la pinède lui envelopper le corps, presque physiquement, et c'est probablement ce qui cause le mal de crâne qu'elle sent lui enserrer les neurones depuis maintenant quelques minutes. Elle pousse la porte de la maison que Max a repérée – Apo est juste derrière elle, lèvres serrées, teint blême, et Max et To ferment la marche, la tête haute, les yeux flamboyants. Autour d'elles, il n'y a plus que du vent imaginaire, que des bourrasques troubles et des émanations de pin brûlé qui leur arrache les poumons un peu plus à chaque respiration. Il n'y a plus que des bourrasques trop violentes que l'incendie lui-même a créées autour d'elles, il n'y a plus que ces bruits insistants et hachés de pâles des hélicoptères qui tentent de circonscrire les flammes. Ça n'a pas l'air de beaucoup marcher, à vrai dire – le ciel a viré au rouge sang, la lueur de l'incendie se reflète sur les vagues, à quelques centaines de mètres d'elles, et c'est un drôle de mélange de vrombissement furieux de flammes et de reflux des vagues qui les berce.
La maison est visiblement un logement de vacances, aux meubles impersonnels et à la décoration trop générique. Le tapis est épais et moelleux, le canapé blanc est immaculé, la lumière blanche et crue du plafonnier vient leur tirer un grognement de douleur – mais Léni sent l'odeur âcre de la peur, ici, et elle sait que Max ne s'est pas trompée. Elles ont croisé d'autres gars, sur la route, certains venant de la soirée de Haz et d'autres qu'elle ne connaissait pas ; mal leur en a pris, évidemment. Elle a compris à l'expression furieuse de To devant les trois gars qui tentaient de fuir l'incendie en passant par la plage, ceux avec des grands yeux et des tatouages sur tout le corps, qu'elle connaissait l'un d'entre eux et elle n'a même pas voulu savoir qui il était. Elle n'a pas besoin de le savoir pour comprendre – elle sait, sans même qu'on le lui dise, que ce gars avait probablement fait la même chose que ce que tous les autres gars avaient fait. « Tout ça, ça me rend malade », leur avait dit Max alors qu'elles venaient ici et qu'une grimace monstrueuse, une grimace de dégoût pur s'était peinte sur son visage. « Toutes leurs pensées me rendent malade », avait-elle ajouté, et Léni songe qu'elle ne pourrait probablement pas supporter d'être dans la tête de ces gars. Elle n'aurait pas pu le supporter, elle serai incapable de supporter les dents serrées ces pensées toutes plus abjectes les unes que les autres. C'était comme ça que Max repérait les mecs, avait-elle fini par leur dire avec un rire jaune alors qu'elles arrivaient au village. Ceux qui avaient les pensées les plus dégradantes, les plus sales, ceux qui pensaient que le monde leur appartenait, eh bien, eux, c'était systématiquement des mecs. Ils avaient tous cette odeur de mépris, cette odeur de violence qui donnait à Léni envie de vomir. Ils avaient tous cette pulsion enfouie au fond d'eux de leur faire du mal. En voyant quatre filles, comme ça, seules, leur première réaction, leur première pensée, c'était de les baiser – c'était Max qui le leur avait dit avec un air désolé et dégoûté. Ils pensaient toujours ça, de toutes façons ; c'était la seule relation qu'ils étaient capable de bâtir avec une fille. Une relation de domination qui les mettait, toujours, sur un piédestal de merde.
Il y a un bruit à l'étage, un bruit de bibelot qui remue – peut-être un tiroir ouvert un peu trop vite, ou un cadre qui tombe sur la moquette – et les filles échangent un regard entendu. Ils sont là-haut. Max n'a pas eu de mal à retrouver Haz et les autres ; il fallait dire que la jeune fille avait eu le temps de les repérer et de graver leur signature mentale dans son esprit. Elle s'était juré, apparemment, de ne jamais oublier la signature mentale de Haz quand elle l'avait entendu avoir des pensées qu'elle avait qualifiées de « dégueulasses » à propos de Léni, et la jeune fille ne voulait même pas savoir ce qu'elle mettait derrière ça. Elle en avait déjà bien assez de son imagination. Elle repense au cadeau d'anniversaire de Haz qu'elle lui a offert hier matin et elle a l'impression que ça fait des mois, soudain, que ça fait des années que c'est arrivé. Elle ne pensait pas pouvoir changer à ce point en si peu de temps – elle ne pensait pas que Haz changerait à ce point en si peu de temps. Elle aurait dû se douter qu'il prendrait le parti d'Al, elle aurait dû se douter qu'il n'y avait rien à attendre de Haz. Et puis elle se souvient toutes ces heures qu'ils ont passées à discuter, elle se souvient du point auquel il avait été important pour elle quand elle était ado et ça ne fait qu'hâtiser sa haine. Haz avait préféré son connard de pote à elle, envers toutes les preuves objectives qu'elle aurait pu lui fournir. Il pensait qu'elle était une menteuse, qu'elle ne méritait même pas de s'expliquer. Il la pensait futile, idiote, il la pensait perfide, vicieuse, manipulatrice – et elle sait que c'est Al le manipulateur dans l'histoire, elle sait que c'est Al qui se fait passer pour plus jeune pour serrer des nanas à peine majeures. C'est probablement l'injustice plus qu'autre chose qui lui fait mal – Al avait eu le droit au bénéfice du doute et pas elle. Elle n'aurait jamais droit au bénéfice du doute parce qu'elle était présumée menteuse.
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Eaux troubles
TerrorTW meurtre, mort, suicide, harcèlement scolaire, gore, violence verbale & physique, torture R A T I N G X __________________________________________ Harry est ravi : c'est la première fois qu'il arrive à organiser ses vacances pour squatter l'un des...