Hyro
Il m'a fallu seulement trois jours pour retrouver ma vitalité et ma motricité grâce au sang d'Immortel qui coule dans mes veines. J'ai travaillé sans relâche pour recouvrer ma forme et être capable de monter à cheval. Car je n'ai qu'une idée en tête depuis mon retour.
J'ai attendu l'aube du troisième jour pour sceller Dark, mon étalon noir et compagnon depuis cinq ans maintenant, avant de m'élancer dans les plaines de Myrtha, bien emmitouflé sous mon épaisse cape en fourrure. Je savoure la brise fraiche qui fouette mon visage ainsi que la sensation de légèreté et de liberté que me procure la chevauchée.
Après une bonne heure, j'arrive enfin à l'orée de la forêt de Sarelh. Je mets pied à terre puis tire Dark par les rênes tandis que je m'enfonce dans les bois paisibles. Je suis un sentier bordé de chênes aussi vieux que le monde pour arriver devant les ruines d'un ancien temple et accroche les brides de l'étalon près des restes d'un ancien lavoir asséché.
Le lierre et les ronces se sont immiscés entre les pierres. Il ne reste pas grand-chose de l'édifice hormis quelques piliers et morceaux de murs qui, autrefois, soutenaient la charpente. J'avais retrouvé des éclats de vitraux lors de ma première visite, que j'ai rapportés dans ma chambre pour tenter de les reconstituer. Les quelques parties que j'ai réussi à assembler m'en ont beaucoup appris sur ces ruines. Notamment qu'il s'agissait d'un lieu de prière dédié à Herya, la Déesse de la fertilité des Immortels.
J'ai découvert cet endroit tout à fait par hasard quand j'étais enfant, une nuit où j'avais tenté de fuir le palais après avoir perdu le contrôle sur les Ombres. Une domestique et deux enfants avaient été tués. Terrifié, je m'étais enfui pour ne plus faire de mal à personne, courant durant des heures sans savoir où aller. Et ma course effrénée avait conduit mes petites jambes jusqu'à cet endroit.
Je m'y étais senti de suite apaisé. Une énergie particulière règne dans ces lieux. Des insectes et des oiseaux multicolores y virevoltent en abondance, surtout près du puits situé juste au-dessus, au sommet d'une colline. Un chêne millénaire a poussé à l'intérieur, élevant ses branchages à plusieurs mètres de hauteur. Intrigué, j'avais posé ma main sur l'arbre. C'est alors que j'avais fait ce rêve. Ce rêve étrange où j'avais vu la naissance d'une Immortelle.
Je m'en souviens très clairement, même quinze ans après. J'ai ressenti la souffrance de la mère qui a donné naissance à l'enfant. Puis la joie qu'elle a éprouvée en la mettant au monde. Le nouveau-né avait pleuré fortement lorsque ses poumons s'étaient emplis d'air pour la première fois. Et il avait ouvert les yeux en grand. Des yeux d'un noir glacial dans lesquels toute la lumière du Soleil parsemait les iris. Et, aussi fou que cela puisse paraître, il m'avait regardé. Moi. Le rêveur.
Nous nous étions observés mutuellement pendant quelques secondes, qui m'ont paru être une éternité. Je pouvais voir chaque détail de son visage. Car dans les rêves, Je ne suis plus malvoyant. Au fond de moi, je savais que cet enfant était lié à moi. Qu'il m'était destiné. J'ignore encore à présent ce que cela signifie vraiment.
Puis le bébé avait pleuré. L'obscurité et les ténèbres m'avaient alors avalé dans un abime sans fond. Jusqu'à ce que j'ouvre les yeux et réalise que ce n'était qu'un rêve. Un fichu rêve dont je n'ai compris le sens que bien plus tard.
— Attends-moi ici, j'ordonne à Dark en lui grattant les naseaux. Je risque d'être un peu long, mais ne t'agace pas. Et ne t'enfuie pas comme la dernière fois. Sinon je t'assure que ce ne sera pas deux repas mais dix que tu manqueras ! je le menace.
L'étalon souffle mais ne bronche pas. Je lui flatte l'encolure avant de m'enfoncer dans les ruines, suivant le sentier au milieu des décombres qui conduit sur les hauteurs de la colline. Mes jambes sont encore un peu faibles, surtout après la chevauchée, mais je maintiens une bonne allure et parviens au puits plus rapidement que je l'avais espéré.
Je m'autorise à admirer la vue depuis le sommet, splendide. Des vallons verdoyants et arborés à perte de vue. Et le lac des envolées en contre-bas, dont la surface de l'eau turquoise réfléchit les rayons du soleil. Pour moi, tout n'est que masse floue et enchevêtrement de couleurs. Même si je ne distingue rien nettement, cette vue m'a toujours apaisée.
Je me retourne et salue le chêne, gardien de ce sanctuaire abandonné. Je pose une main sur l'écorce du tronc et ferme les yeux, sentant son énergie apaisante m'envahir. Parfois, l'arbre est la seule chose capable de me calmer. Et quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, il m'arrive de galoper jusqu'ici comme si ma vie en dépendait juste pour pouvoir le toucher afin qu'il me libère de mes tourments.
Mais aujourd'hui, ce n'est pas la seule chose que je suis venu voir et honorer. Car juste à côté, à environ trois mètres du puit, une tombe en pierres blanches a été édifiée. Celle de mon frère. Erin.
Je m'en approche lentement tout en enveloppant mon cœur de glace pour ne pas m'effondrer. Diego a respecté le souhait d'Erin :
« Et les gars ! Si un jour je devais... Vous savez, quoi ? Ben mourir. Avant vous. J'veux une putain de tombe sous les branches de ton chêne, Hyro ! Comme ça, même six pieds sous terre, je dominerai le monde ! Et je sais que tu viendras souvent me voir. Hein, Petit frère ? »
Ce jour-là, Diego lui avait collé une sacrée tape dans le dos et lui avait ordonné d'arrêter ces idioties. C'était il y a trois ans. Mais malgré tout, il s'en est souvenu.
Je pose mes doigts sur la pierre froide, sentant un flot émotionnel gronder sous la glace. La tombe est simple. Surmontée par une sculpture. Un soleil embrassant la Lune, surmontés par un phœnix dont les ailes sont déployées. Erin a toujours rêvé de voir un de ces animaux légendaires.
Ma main tremble lorsque je touche la statue, suivant le contour des ailes du Phoenix. Je tombe à genoux. La glace fond inexorablement. Les larmes montent, brûlant mes yeux. Je craque. Je pleure. Abondamment et sans retenue.
Pardon, Erin. Pardon de ne pas t'avoir sauvé. Pardon d'être si faible. Erin... Comment pourrais-je te regarder en face lorsque je te rejoindrais ? Par les Dieux ! Comment vais-je faire pour accepter que tu n'es plus là ? Que je ne t'entendrai plus rire ?
Je ne parviens pas à me calmer, trop bouleversé. J'entends les Ombres rire et s'agiter. Elles rampent sous ma peau. Elles me connaissent. Savent quand je suis vulnérable. Et donc susceptible de les libérer. Mes doigts se plantent dans la terre tandis que je mobilise toute ma force pour les contenir.
Je suis au bord de l'effondrement. Puis j'entends une voix. Légère et douce. Une mélodie réconfortante qui vient enlacer mon corps meurtri.
« Je comprends ta colère. Ta détresse. Il n'y a rien de pire que de se sentir impuissant et incapable de protéger ceux que l'on aime. Mais il y a des gens qui t'attendent et qui s'inquiètent pour toi. Tu dois revenir. Pour eux. Ne les rejette pas. Ils ont besoin de toi. Comme tu as besoin d'eux. Pense aux personnes que tu aimes et remplace tes souvenirs douloureux par de nouvelles expériences heureuses. Vis avec les vivants, pas avec les morts. »
Je ne sais pas d'où me vient cette prière. Ce baume qui panse ma douleur. Mais il m'aide à me ressaisir et à faire taire les Ombres. J'essuie mes joues humides et inspire plusieurs fois de grandes goulées d'air frais avant de me lever.
Merde. Je dois me ressaisir.
Puis je pose à nouveau ma main sur la tombe et libère mon pouvoir. La pierre s'illumine sous mes doigts quelques secondes avant que ma magie disparaisse. Le Soleil, la Lune et le Phoenix continuent de briller. Ils resteront luminescents éternellement.
Pour que la lumière guide chacun de tes pas dans le royaume des morts, je murmure. Dors en paix, grand frère.
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EROBYE - Tome 1 : Le Miracle
FantasyWassalie est une sang-mêlée, une des dernières métisses immortelle. Cherchant à échapper à un terrible passé, elle vit recluse au sommet d'une montagne enneigée. Attaquée par les Ombres sorties du Voile qui sépare les mondes, elle est contrainte de...