Les Rivières aux Poignets

Dans les cours des lycées

Dans les cours des lycées où s'entassent nos rêves
Adossés à des murs qui gardent nos secrets
Solitudes connectées, on se like, on se crève
Les écrans dans les mains pour mieux se regarder

On se prend des photos, des sourires de statues
Qu'on dépose sur les murs qui feront nos musées
On partage en réseaux nos avis entendus
D'un expert, je n'sais plus, d'un expert vérité

Dans les cours des lycées on apprend à aimer
Et puis à détester, on apprend à blesser
La peur de se parler, la peur de s'mettre à nu
Et l'on croque les cœurs avec des mots trop crus

On s'bouscule on se vautre dans de trop longs couloirs
On s'embrasse dans un coin, on se prend par la main
On se pleure on se crie on enterre nos espoirs
On se chante on s'écrit on s'aimera demain

Dans les cours des lycées et des regards discrets
C'est toujours en silence que se créent les amours
Au détour d'un sourire ou d'un geste échangé
On se prend à rêver et peut-être qu'un jour...

Dans les cours des lycées on invente des mots
Pour oser se parler on partage un mégot
On est jeune et nos souffles ont des airs de Toujours
On est jeune et l'on souffre au désert des amours

Dans les cours des lycées on se groupe entre amis
Tous en cercle et debout, tous assis au trottoir
Au trottoir de nos rêves sur des rives d'espoir
Puisqu'il n'est pas trop tard pour inventer nos vies

Dans les cours des lycées on est ensemble et seul
On se ressemble tous au-delà de nos cils
Au-delà de nos yeux et nos larmes au sol
Il y a le même goût à nos flaques de sel

C'est le goût d'une fille, c'est le goût d'un garçon
C'est le goût d'un détour, d'un aller sans retour
C'est le goût de nos vies, c'est un goût d'abandon
C'est le goût d'un Toujours qui vous quitte un beau jour

Dans les cours des lycées on se brise les cœurs
On se tatoue les peaux de souv'nirs et d'erreurs
Les prénoms cicatrices à nos bras oubliés
Les visages brumeux des amours effacées

Dans les cours des lycées les chemises de bûch'rons
Les cheveux gras mi-longs pour cacher les boutons
Les chaussettes usées dans des pompes trouées
On a l'âge un peu con où les pieds sont mouillés

On a l'âge un peu con, c'est une certitude
On n'sait pas qui l'on est, alors on s'improvise
On a l'âge où l'on cherche les bonnes attitudes
La couleur de la mèche, le vêt'ment qui déguise

Dans les cours des lycées, dans le fond de nos poches
Un peu d'herbe trop verte qui nous fait les yeux rouges
Les bovins à leur cou ont chacun une cloche
Qui prévient le troupeau quand enfin quelqu'un bouge

Dans les cours des lycées on s'regarde de travers
Pour des bruits de couloirs pourtant droits mais austères
La rumeur est partout et les idées reçues
Celui-ci est un fou, celle-là sans vertu

Dans les cours des lycées on se cogne on se moque
Et l'on entend très fort tous ces rires de phoques
Tous ces ados idiots qui se tapent le dos
Pour se dire qu'ils sont potes dans un rototo

Dans les cours des lycées de nos esprits guerriers

De nos vies de cowboy dans nos rues oubliées

Des sourires de playboy aux pantalons troués
Des poubelles renversées, des bêtises déversées

Des panneaux arrachés pour se penser vivant

Les premières soirées, les colères des parents
Les premières amitiés et les premiers ennuis
Et nos premiers baisers, les premières fois d'une vie

Dans les cours des lycées les nuages de fumées
C'est la jungle moderne de briques et de goudron
Les matins de brouillard, les cerveaux embrouillés
Dans les cours des lycées, on n'voit plus l'horizon

Et les profs nous récitent les famines et les guerres
Qu'est ce que l'Homme a raté pour en arriver là ?
Et serai-je responsable de toutes nos misères ?
Responsable d'un monde qu'était mort avant moi ?

Dans les cours des lycées on y laisse des larmes
On y laisse des filles qui n'sont pas encore femmes
On y laisse des rires et quelques grands moments
On y laisse les racines de nos seize printemps

Dans les cours des lycées on y laisse nos peines
Nos regrets de jamais n'avoir su dire je t'aime
Et graver au couteau dans le bleu d'une veine
Quelques lettres aux poignets, aux rivières d'un poème