Protecteur

171 5 6
                                    

Gwi-Nam sifflotait un air joyeux, les mains dans les poches. Sans se presser, il remontait le chemin de terre qui longeait le gymnase et l'amènerait jusqu'aux courts de tennis. Il ricanait, le cœur envahi d'une euphorie singulière – si tant était qu'il eût toujours un cœur. Avec cette putain de transformation, il n'était plus sûr de rien, de ce côté-là. Mais après tout, il s'en foutait. Il survivait bien sans son œil. Il pouvait survivre sans son cœur. Peut-être n'en avait-il d'ailleurs jamais eu.

La veste qu'il avait volée dans une des salles du lycée était en piteux état. Abîmée et déchirée par endroits, elle portait des traces de terre et de poussière, mais surtout, de sang. Des zones entières de l'étoffe blanche et bleue avaient viré au rouge sanglant, à la suite de ses quelques repas. Cette idiote de Na-Yeon lui avait offert un encas parfait. L'autre plouc d'archer aussi, un peu plus tôt – il ne savait même pas comment il s'appelait, celui-là. Ç'avait été un sacré borné, mais pas une seule seconde Gwi-Nam ne l'avait considéré comme un adversaire sérieux. Il n'avait plus peur de rien ni de personne. Sa nature mi-humaine, mi-zombie lui conférait les pleins pouvoirs. Désormais, terminé d'obéir sagement comme un toutou bien dressé. Gwi-Nam était devenu le maître.

Le maître de tous ces morts-vivants décérébrés qui l'entouraient.

Le seigneur de ce paradis sur Terre où plus personne ne viendrait jamais le faire chier et où tout le monde ferait dans son froc en le voyant surgir des ténèbres, un sourire malsain aux lèvres et son fidèle couteau entre les mains.

L'audition à présent surdéveloppée de l'hybride ressuscité lui indiquait qu'il y avait de l'agitation au niveau des courts de tennis. Il pressa le pas, agacé. Ces couillons tentaient d'atteindre les montagnes. Quels crétins, comme s'ils croyaient vraiment pouvoir lui échapper en allant se paumer en pleine nature. Gwi-Nam les poursuivrait sans répit. Il les traquerait et les tuerait un par un, s'il le fallait. Et si tout devait se finir comme ça, il s'assurerait que ce petit salopard de Cheong-San assiste à la mort de chacun de ses amis, avant qu'il ne le crève à son tour.

Pourquoi pas, ouais. Ce serait un bon jeu.

Le jeune homme ralentit lorsqu'il parvint aux abords des terrains grillagés et se glissa entre les arbres proches pour observer un instant la situation. Il se mit à sourire, secoué d'un rire silencieux, à la fois nerveux et dément. Il trouvait ce petit groupe de survivants de plus en plus pathétique. Cette bande de génies s'était enfermée dans un court de tennis et était désormais coincée, entourée de zombies qui leur bloquaient chaque issue. C'était à se demander comment ils avaient fait pour rester en vie aussi longtemps !

En détaillant ses camarades de son unique œil valide, Gwi-Nam nota la présence d'un nouveau venu à leurs côtés. Un adulte. Nam On-Jo, la petite traînée couvée par ce connard de Cheong-San, était agrippée à lui comme un drogué à son dealer, les yeux exorbités de terreur. En un éclair, Gwi-Nam nota leurs ressemblances physiques et son sourire s'élargit. Un membre de sa famille ? Son père, peut-être ? Intéressant...

Mais ce n'était pas lui qui les protègerait pour autant.

Certainement pas.

Avec l'appui de cet adulte et enfermés entre leurs quatre parois de grillage en fer, les jeunes qu'il avait autrefois côtoyés se pensaient naïvement en sécurité pour un temps. Les zombies n'étaient pas capables de défaire des verrous, d'ouvrir des portes, d'escalader des grilles... Leur soulagement en demi-teinte donnait encore plus à Gwi-Nam l'envie de s'esclaffer comme un possédé. Il allait vite leur faire perdre cet illusoire sentiment de protection éphémère. Il percevait déjà le moindre effluve de leur peur, et se délectait d'avance de la sentir se décupler lorsqu'il apparaîtrait dans leur champ de vision.

ProtecteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant