« Et si on s'enfuyait ? »,
Je t'avais demandé, l'autre soir. Comme ça, sans vraiment de raison ni de pourquoi. C'était une question évidente, enfin, pour moi c'en était une. Comme une solution logique à une équation, ou une phrase que l'on disait tout à coup, sans trop réfléchir, car notre petite voix nous l'avait soufflé.
Juste une simple question, une proposition. Je n'attendais pas forcément de réponse, tu sais. Et je pensais que, de toute façon, tu n'aurais pas la réponse à ce genre de 'crises existentielle', comme Plagg aime les définir en suçant son fromage favori.
Je m'en souviens, on regardait le ciel de Paris s'assombrir du haut d'un toit. C'était la fin de notre patrouille, mais étrangement, ce soir là, j'avais pas envie de rentrer. L'air frais giflait violemment mon visage à travers le masque, comme pour que je ne fasse qu'un avec le vent. J'avais Paris brillant de milles feux sous les yeux, posté à l'un des plus grand toit de la capitale, juste en face de la tour Eiffel, et pourtant, je fermais les yeux. Ça faisait longtemps que je n'étais plus intéressé par le paysage parisien, peu importe comme il était lumineux et à couper le souffle. Il ne m'impressionnait plus, je crois bien qu'il ne m'a jamais fait de l'effet. Donc même au plus haut point que je pouvais être, même à cette heure curieuse où il ne fait ni jour, ni nuit, mon cœur ne battait pas d'émerveillement.
C'est pour ça que, les yeux fermés et le visage tourné vers l'horizon, je t'ai demandé : « Et si on s'enfuyait ? ».
Je l'avais plus posé pour moi-même, cette étrange question. C'était pour rassurer, en quelques sortes, ou pour me consoler. Pour me convaincre que je pourrais toujours partir ailleurs, loin, très loin, tellement loin que je serai loin des Hommes, loin de chez moi, loin de tout. Mais pas loin de toi. J'ai rouvert les yeux, et je t'ai regardé. Tu m'observais curieusement avec ces yeux bleus qui analysaient précipitamment ma question, essayant d'en deviner le ton et l'intention.
La première chose que j'ai entendu, ce fut ton rire. Légèrement moqueur, mais aussi affectif, ce rire que tu as seulement quand nous sommes seuls, et que je clame comme mien. Ce spécial rire Chat Noir, que tu n'utilises que pour parer mes idioties. C'est vrai, c'était idiot de poser ce genre de question, encore plus sans aucun contexte et quand on s'apprêtait à partir.
« Pourquoi soudainement cette question, Chaton ? », tu me demandais, en essuyant une petite larme discrète incrusté sur le coin de ton œil. J'haussais vaguement les épaules, cherchant des yeux un élément du paysage qui pourrait m'aider à répondre à cette question. Comment faire comprendre, comment te faire comprendre ce sentiment d'ennui et de vide que je ressentais en voyant la capitale ? C'était impossible. Je balbutiais quelques mots incompréhensibles entre le 'j'en sais rien' et 'pour rire'. Je n'avais jamais été aussi hésitant à l'oral, moi qui d'habitude était le premier à te mettre mal à l'aise, c'était mon tour d'être gêné. J'abandonnais l'idée de donner une réponse concrète, et me contenta d'à nouveau regarder le paysage monotone. J'avais beau regarder, beau scruter le moindre détail, je ne trouvais aucune beauté au spectacle sous mes yeux. C'en était presque décevant, de ne pas ressentir la même excitation que toi à la ville de l'amour. Et toi, pendant cette longue bataille interne où je cherchais mes mots, tu t'étais murée dans le silence. À quoi pensais-tu ? Je risquais un coup d'œil en ta direction que tu ne remarqua pas. Tu ne me comprenais pas, je le voyais à ta figure interdite. Tu devais te demander ce qu'il se passait dans ma tête, pour vouloir tout soudainement laisser tomber. Moi même, je ne le savais pas.
Après tout, ma vie était ici, et ce depuis toujours. Mon père, la tombe de ma mère, mes amis, ma carrière, mon secret. Toi. Partir sans un regard en arrière voudrait aussi dire les abandonner, vous abandonner. Je ne pouvais pas me résoudre à faire ça. Pas que je n'en avais pas l'envie, mais plutôt que je n'en avais pas le courage. J'avais besoin de me rassurer en te mettant dans mon plan de fuite insensé, parce que si c'était avec toi, j'irai au bout du monde. C'était égoïste de ma part, tu ne trouves pas ? Te demander de me choisir face au reste du monde pour un caprice de gosse de riche, comme si tu n'avais pas ta propre vie, toi aussi. Tu as forcément une famille aimante, des amis, des raisons de rester. Tu as tout ce que je n'ai pas, des projets, des rêves, Paris. Comment pourrais-je être aussi stupide de vouloir t'enlever ça, ma Lady ? Je la voyais, cette étincelle dans tes yeux qui brillait éternellement lorsque tu posais gracieusement le regard sur la tour Eiffel. C'était comme si la ville toute entière, des monuments aux bâtiments, en passant par la Seine, les bateaux sur la Seine, des habitants aux êtres vivants, qu'ils volent dans les airs ou se réfugient dans la terre ; c'est comme si tout ça t'appartenait. Tu en étais l'unique maître, celle qui veille sur Paris endormie. C'était ta ville. Je n'avais pas le droit de te l'enlever. Et c'est comme ça, sur le plus haut toit de la capitale, au milieu de cette ville illuminée de tous les côtés, que j'ai su que tu ne me suivrais pas. J'ai su que je ne voulais pas que tu me suives. Ta vie, ce n'est pas moi.
Et pourtant.
Et pourtant, au moment où j'allais m'enfuir, encore, couvert de honte et de mélancolie, tu m'as attrapé le poignet. Tu m'as regardé, et tu m'as souris. Pas ce sourire espiègle et moqueur, pas ce sourire d'aventurière sans peur qui gravit tous les dangers. Mais un sourire plein de douceur et de tendresse, le sourire que tu donnes quand tu aimes. Tu m'as souris, et tu m'as dit : « Allons-y ». Où ça ? N'importe où.
Je savais que tu mentais, qu'on s'en irait pas. Je savais que ce n'était que du faux, des rêves innocents et sans valeurs. Mais pour moi, cette petite comédie valait tout l'or du monde. Même pour faire semblant, tu étais la meilleure. Alors on s'est assis, et on a parlé de ces endroits mystérieux et lointain où l'on irait, défiant la gravité et l'espace-temps. Le fantastique se mêlait au réel, l'ancien temps se mêlait au moderne, toutes nos maigres connaissances sur les cultures du monde se rassemblaient pour ne faire qu'un pauvre univers chaotique et sans limites. Un monde sans masques, sans miraculous, sans tout. Un monde où seuls nous deux existeraient, juste pour une nuit, et le lendemain tout oublier. Un monde aux milles et unes failles, certes, mais un monde rien que pour nous. Juste pour nous deux. Notre monde.