Un jour

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Tous les jours, à la même heure. Tous les jours, au même endroit. Tous les jours, sur le même banc.
Je contemplais ce garçon, ou plutôt ce jeune homme, aux cheveux noirs jai, qui tous les jours s'asseyait sur ce petit banc bleu ciel et lisait un shojo. Je ne savais ni son nom, ni son âge. Enfaite, je ne savais pas grand chose de lui. Je ne savais pas grand chose de lui et pourtant, j'avais l'impression de le connaître par cœur.

Il travaillait dans l'un des énormes immeubles qu'abritait Tokyo. Le genre d'immeuble où tout coûte plus cher que sa propre vie. Et moi je travaillais dans l'un de ces petits cafés que le l'on trouve à chaque coin de rue, dans les quartiers commerçants. On menait sûrement une vie bien différente lui et moi.

Tous les jours, à 17 heures, il venait s'asseoir sur ce petit banc, en face de mon café. Il s'asseyait à 17 heures et repartait à 18 heures. Il amenait souvent un livre, même tout le temps. Il devait vraiment aimer ça.
Moi, je l'observais. Prenant tous les jours ma pause à la même heure, je l'observais tourner les pages de son manga, les yeux absorbés par ce regard plein de passion. Je voulais lire avec lui, parler de l'histoire avec lui ou même débattre avec lui pour savoir avec qui l'héroïne finirait. Je voulais le faire. Mais je n'avais pas le courage.

Finalement, un jour, c'est lui qui est venu me parler. Nous n'avons échangé que quelques mots et pourtant entendre sa voix, pour la première fois et un si court instant, a suffi à réchauffer mon cœur. En me voyant l'observer, il s'est sûrement dit que je m'intéressais à son manga et est venu me demander si je voulais le lire. À vrai dire je n'observais pas son livre mais bel et bien lui. Mais j'ai accepté. Je n'avais jamais lu de shojo avant, je savais juste ce que c'était grâce à une amie.
Il m'a demandé de le lui rendre dès que je l'avais fini. Et c'est ce que j'ai fait.
Après cet événement, chaque fois qu'il finissait un de ses manga il me le passait mais malgré tout, nous ne parlions jamais vraiment ensemble. Les seuls mots que l'on échangeait étaient des « merci » ou encore des « c'était cool », mais jamais rien de plus. Je ne connaissais toujours pas son nom. Je mentirais si je disais que cela me suffisait, mais malgré tout je ne pouvais pas me plaindre. Après tout, moi aussi je n'osais pas faire un pas de plus vers ce jeune homme qui obnubilait, depuis maintenant deux mois, mes pensées.

Mais un jour c'est arrivé. Je m'étais assise sur le banc à côté de lui pour finir le manga qu'il m'avait prêté la veille, quand un groupe d'homme d'âge moyen s'est approché de nous. Le plus grand d'entre eux a chuchoté quelque chose à l'oreille du bel inconnu à mes côtés puis celui-ci s'est levé en dépoussiérant son blazer gris. Avant de partir il m'a donné le shojo qu'il lisait quelques minutes avant et m'a dit:

-  Désolé je pars plus tôt aujourd'hui, j'ai une réunion. Tiens, c'est un de mes manga préférés  alors t'a pas intérêt à le perdre. Tu me le rendras quand t'auras fini. Ah et... j'ai laissé quelque chose pour toi à l'intérieur mais attend  que je sois parti pour regarder s'il te plaît. À demain !

Et sans un mot de plus il a rejoint le groupe, qui l'attendait un peu plus loin. Comme il me l'avait demandé, j'ai attendu qu'il ait disparu de mon champ de vision pour ouvrir le manga et voir qu'elle était cette « chose » qu'il m'avait laissé.
Un post-it. C'était un simple post-it, mais il y avait marqué dessus ce numéro et ces quelques mots, qui aujourd'hui encore, je ne peux oublier.

« 078 *** ** ** appel-moi,
Chifuyu Matsuno. »

Je n'avais jamais été aussi heureuse, je souriais sans raison et mon cœur battait la chamade. Je connaissais enfin son nom. Je voulais le crier sous tous les toits.
Le soir même j'ai essayé de l'appeler. Pas de réponse. Il m'avait dit qu'il était en réunion, ce n'était donc pas franchement étonnant. Alors j'ai essayé le lendemain, et le sur-lendemain. Toujours pas de réponse. Il ne venait plus au banc, ne me passait plus de shojo, je ne le voyais plus, on ne parlait plus.

Pourquoi ? Qu'est-il devenu ? Ce sont les questions que je me pose tous les jours depuis maintenant trois ans. Cela fait trois ans que, tous les mois, je rappelle. Je rappelle ce numéro dans l'espoir d'avoir enfin une réponse. Dans l'espoir d'entendre sa voix.

J'ai gardé le post-it, malgré le fait que je connaisse par cœur son contenu. Car je veux un jour pouvoir le lui montrer et lui demander s'il s'en souvient. Lui demander s'il se souvient de nos discussions. S'il se souvient de moi. De mon visage.

Chifuyu Matsuno, un jour,
me répondras-tu ?

~Fin~

Un jour | One shot ChifuyuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant