Chapitre 18 : Bal et caresses (1/4)

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   Malgré sa tenue ridiculement encombrante, Eldola se sentait un peu plus légère. Pour la première fois depuis qu'elle était arrivée sur la falaise, les événements se déroulaient enfin selon ses plans : elle était loin d'avoir réussi à percer les secrets de son mari et son avenir était encore instable, mais au moins elle avait l'impression de progresser dans la bonne direction et de gagner des alliés.

    Pourtant, Eldola avait cru initialement ne pas réussir à surmonter toutes les épreuves qu'impliquaient le fait d'aller au bal. Avec l'arrivée de l'hiver, les journées se faisaient plus courtes et froides, les soirées plus sombres et solitaires ; pour remédier à la morosité mélancolique qui les gagnaient, les Techno-citoyens avaient instauré de nombreuses célébrations en cette période de l'année. Les invitations aux bals, concerts et réceptions déguisées se multipliaient, mais Eldola devait souvent décliner à cause de son absence de cavalier : en effet, Friedrich avait horreur de ces rassemblements festifs, et il refusait toujours de sortir dès que la nuit tombait. De son côté, Eldola ne se sentait pas suffisamment à l'aise pour s'exposer seule lors de réjouissances qui avaient une fâcheuse tendance à lever toutes les inhibitions des Administrateurs... Fort heureusement, le Régional Georges avait toujours l'intention de sauver leur réputation – et la sienne, par la même occasion – et avait donc organisé chez lui un bal se déroulant exceptionnellement en journée. L'idée avait d'abord pu paraître saugrenue, mais il avait habilement déguisé l'affaire en donnant pour thème à son bal la lumière, et toute la Province était en ébullition face à tant d'avant-gardisme, à tel point qu'il venait peut-être de lancer une nouvelle mode, au grand regret de Friedrich... qui avait par ailleurs reçu une invitation plus qu'explicite de la part de son Régional. Eldola aurait bien ri de son air contrit, si Betsy ne s'était pas immédiatement enflammée à la mention du bal, au point de la plonger dans un enfer de préparatifs continus pour les jours suivants.

    Eldola n'était pas vraiment le genre de personne à avoir profité des festivités de l'Échangeoir, elle ignorait donc tout des coutumes de Rai-Lo-Clair en la matière. Naïvement, elle s'était imaginé que cela serait proche de la réception chez le Provincial ; elle n'imaginait pas à l'époque à quel point elle s'était fourvoyée... Les bals étaient l'occasion de sortir de l'ordinaire du quotidien et de laisser exploser la créativité de chacun : les invités devenaient des toiles où leurs vêtements peignaient des thèmes complexes et se transformaient pour quelques heures en véritables œuvres d'art ; les normes s'inversaient, ce qui était d'habitude déplacé et choquant devenait source d'admiration, tandis que la pire chose qui pouvait arriver à un invité était d'être ennuyeux. Une seule règle demeurait inflexible : pour honorer la Nature et son don de la bioTech, les hommes devaient choisir un costume à l'effigie d'un animal, et les femmes un costume à l'effigie d'un végétal. Eldola vit pour la première fois Betsy entrer dans la bibliothèque pour faire des recherches approfondies sur le thème de la soirée : puisqu'elle n'avait pas les moyens d'utiliser de la bioTech pour améliorer la robe, la Chambrière dénicha un sombre almanach sur la signification du langage des fleurs pour justifier son choix de l'orner de motifs à l'effigie de l'olivier, symbole de la sagesse, qui était la véritable lumière guidant les Techno-citoyens. Comme il était trop coûteux de commander une robe uniquement pour l'occasion, elle infligea à Eldola de nombreuses séances d'essayage pour retoucher sa plus volumineuse robe : en plus des énormes manches bouffantes orangées et du lourd jupon beige orné de fins losanges en soie cascadant jusqu'au sol, Betsy ajouta des rubans ornés de dessins de fleurs d'oliviers, ainsi qu'une traîne ornée de motifs géométriques symbolisant des feuilles d'oliviers stylisées. Comme elle n'avait pas de bijou, Eldola fut forcée de porter une composition florale des plus urticantes attachée à son cou par un ruban, composée encore une fois de feuilles et fleurs d'olivier – et seule la Raison savait comment Betsy avait réussi à se procurer ces ornements.

Sur la Falaise [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant