Chapitre 12.2 - rework

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Wassalie

Je le laisse m'entraîner sur la piste de danse au milieu des autres danseurs, sans le quitter des yeux. Je me noie dans son regard. Je ne vois plus que lui. Je ne remarque même pas que la musique s'est arrêtée.

Il se place face à moi et, avec douceur, pose une de ses mains dans mon dos. Je me retrouve à seulement quelques centimètres de son visage, mon corps plaqué contre le sien, le cœur battant. Il m'invite à placer une de mes mains autour de sa taille et garde l'autre serrée dans la sienne. Son odeur singulière chatouille mes narines. Il sent bon.

Lui aussi ne me quitte pas des yeux.

Dieu qu'il est beau !

J'en ai le souffle coupé.

Puis la musique démarre enfin et il fait un pas. Que je suis aisément.

Nek m'a enseigné la danse. Selon lui, savoir danser permettait à n'importe qui de se fondre dans la masse et de paraitre parfaitement normal. J'avais détesté ces leçons que je trouvais barbantes. Mais aujourd'hui, je remercie mon ancien maître de m'avoir transmis ce savoir.

— Vous vous débrouillez plutôt bien, murmure Egon à mon oreille, ce qui me fait frémir.

— Vous aussi.

Je jette un coup d'œil autour de nous et suis surprise de voir que tous les regards convergent vers nous. Le Roi nous observe d'un œil attentif au loin, tandis que les dames de cour me lancent des regards meurtriers. Quant aux hommes, ils me contemplent, cherchant à savoir qui est cette mystérieuse inconnue.

— Ne faites pas attention à eux, me recommande Egon.

— Pourquoi est-ce que tout le monde nous regarde ?

— Parce que je n'ai pas pour habitude de danser. Et encore moins en si charmante compagnie.

— Vous ne dansez jamais ?

— Je trouve cela ennuyant.

— Alors que faisons-nous ici ? m'étonnai-je.

— Un jour, Diego m'a dit que la danse pouvait être appréciable si l'on avait un bon partenaire. J'avais envie de vérifier sa théorie.

— Et alors ?

— Je dois avouer qu'il avait raison.

Il me fixe avec tellement d'intensité que je me sens troublée. Personne ne m'a jamais regardée ainsi. Comme si j'étais... la plus belle chose qui puisse exister au monde.

Il baisse finalement les yeux, soudain mal à l'aise, le rouge aux joues. Flattée, je fais comme si je n'avais rien remarqué afin de ne pas le troubler davantage. Mon cœur bat la chamade tandis que je virevolte entre ses mains.

Et soudain, je la sens. La faille. Une brèche infime mais bien présente. Ma barrière mentale qui s'effile. Car cette joie que je m'autorise en savourant pleinement cet instant... est impossible. Je ne dois me rapprocher de personne. Pas après ce que j'ai fait. Pas sans risquer de basculer à nouveau dans la folie, la détresse et le vide.

Mon cœur se met à cogner contre ma poitrine douloureusement. Mes jambes tremblent si fort que je suis obligée de me cramponner au bras d'Egon pour ne pas tomber.

— Wassalie ? m'interpelle Egon, inquiet.

Il me soutient, sentant que je suis à deux doigts de m'effondrer. Il m'aide à marcher pour m'entrainer sur le côté dans un recoin plus calme, sous le regard inquisiteur de la foule.

— Je... je suis désolée, je m'excuse. Je... De l'air... Il me faut de l'air.

— Je vous conduis sur la terrasse.

— Non. Je veux dire... excusez-moi, Egon. Je vais y aller seule.

Je me dégage de son étreinte et me dirige tant bien que mal vers l'extérieur. Je gravis quatre marches avant de passer sous une arche pour me retrouver à l'air libre sur la grande terrasse qui surplombe les jardins du Roi.

Il fait froid et il n'y a pas grand monde. Un couple sur ma droite et trois femmes qui conversent à voix basse, comme si elles complotaient contre le monde. Je repère un coin où il fait plus sombre et, une fois à l'abris des regards indiscrets, agrippe la balustrade. Mes doigts sont crispés sur la pierre. Je tremble et inspire fortement pour essayer de me calmer.

— Restaurer le calme. Creuser et enfouir. Cloisonner et sceller.

Je répète mon mantra en boucle, combattant le flot de souvenirs qui menace de refaire surface. Des souvenirs enfouis trop profondément. S'ils venaient à ressurgir, je ne suis pas sûre de pouvoir le supporter.

— Restaurer le calme. Creuser et enfouir. Cloisonner et sceller.

La brèche se referme enfin après plusieurs minutes, me laissant vidée et éprouvée. Je penche ma tête en avant et laisse les larmes que j'ai retenues rouler sur mes joues. Syah... Ma sœur morte dans le camp... Cela n'a duré qu'une fraction de seconde mais j'ai revu son visage. Son visage sans vie, une expression de terreur figée sur ses traits pour l'éternité. Je frissonne, soudain glacée jusqu'aux os. Je refuse de revivre ce cauchemar.

Un mouchoir blanc apparait soudain devant mon visage. Je relève mes yeux embués vers la personne qui se trouve à côté de moi. Hyro. Il est lui aussi appuyé sur la balustrade, dissimulé dans la pénombre. Sa tête est tournée vers le ciel qu'il observe attentivement, m'offrant la vue sur son profil. Il a l'air triste. Il est jeune mais son visage est celui d'un homme qui en a déjà trop vu. Le visage d'un homme qui attend que la mort vienne le délivrer.

Je m'empare du mouchoir qu'il me tend pour essuyer mes larmes. Intimidée, je n'ose rien dire. Ni même le regarder plus longtemps. Je laisse mes yeux errer sur le ciel étoilé, me laissant bercer par le crissement des insectes qui émettent une douce mélodie. Un silence paisible s'installe entre nous. Un silence qui me permet de remettre de l'ordre et du calme dans mon esprit.

Le visage de ma sœur disparait pour tomber dans l'oubli. Je me sens fatiguée. Il est temps pour moi de regagner ma chambre.

— Merci pour le mouchoir, je murmure à l'attention d'Hyro.

N'obtenant pas de réponse, je tourne la tête vers lui. Mais il n'est plus là. 

EROBYE - Tome 1 : Le MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant