Folies

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En fait, la question était purement rhétorique. Comme Otsu put le comprendre avant qu'une violente douleur derrière son crâne ne la plonge dans les ténèbres.

Des images passèrent devant ses paupières closes. Des images sombres, noires. Des moments fugaces, trop flous pour qu'elle puisse réellement les voir, et pourtant elle les voyait. Des masses immenses et affamées qui erraient d'un pas lourd dans les rues d'une cité si vite tombée en ruine. Du feu, des cris, du sang et de la peur. Le cri de son père qui appelle à l'aide.

Otsu ouvrit les yeux. Hébétée, elle n'arrivait pas à se réveiller. Les souvenirs voulaient la ramener à ce moment là, à ce jour là. Il y a des choses dont elle ne parle jamais, parce qu'elle ne veut pas se les remémorer. Mais l'écho du passé a disparût bien plus vite qu'elle ne l'aurait crût. Le présent prenait toute la place.

La prostituée se ressentit assise et tordue. Ses bras derrière son dos, enserré dans une poigne de fer. Elle vit d'abord le lit sur lequel on l'a jeté, et l'homme à son côté qui tenait ses poignets dans une main de fer. Otsu rua, de toutes ses forces, plus pour se laisser le temps de reprendre ses esprits que dans une vraie tentative de s'échapper. L'homme s'énerva, s'agaça, se recula avant de lever une main tendue.

« Non ! » S'insurga la voix d'Arbeit.

La courtisane ne l'avait pas vue. Sa tête se tourna en reconnaissant ce timbre si chaleureux, dans un autre endroit, à un autre moment.

« Je t'ais dis non, en douceur. Elle doit être présentable pour la vente. Vous êtes réveillée ma chère. Tâchez de vous tenir tranquille, d'accord ? Je vous veux impeccable quand les acheteurs arriveront. Et si vous n'êtes pas sage, je me chargerai moi même de vous punir. Vous n'ignorez sûrement pas qu'il existe des châtiments pires que la douleur. Je ne veux pas vous abimer, alors ne m'y obligez pas. Je pourrai me laisser emporter, et ce serait vraiment dommage, n'est-ce pas ? Nous voulons tous les deux que la vente se passe bien, j'en suis certain. Vous êtes une petite chanceuse Otsu, vous êtes le premier lot d'une enchère extrêmement sélective.

- A qui dois-je envoyer les invitations Maître ?

- Hmmm... Balto, bien sûr. Le batard Baumeister aussi. Finis de l'attacher et vient me rejoindre dans mon bureau, je te donnerai une liste. »

Tremblante, Otsu avait écouté les menaces d'une oreille, tout en se concentrant sur elle même, sur ses bras tordus en arrière, sur l'homme qui cherchait à l'attacher. Car c'était bien ce qu'il tentait de faire, et la jeune femme ne pouvait pas se débattre. Cela ne lui aurait servit à rien. Epaules tombantes et têtes basse, Otsu laissa échapper un sanglot. Ses membres tremblant de manière frénétique, mais cela n'empêcha pas l'homme de l'attacher. En fait, les convulsions ne servaient qu'à détourner son attention des muscles bandés qu'il entravait avec une épaisse corde rugueuse. Ce ne fut qu'après son départ, que le bruit de ses pas se furent depuis longtemps éloignés, que la jeune femme s'autorisa enfin à se détendre.

Sans tourner la tête, sans rien voir, Otsu fit tourner ses poignets, tâtonna du bout des doigts, de toute sa peau et jaugea, et réfléchit, et fomenta. Ses muscles relâchés avaient laissés un espace entre ses poignets et la corde. Un espace infime, mais suffisant pour que la prostituée, lentement, petit à petit, parvienne enfin à créer assez de jeu pour presque, presque, se libérer.

Mais il manquait quelque chose pour que ses mains parviennent enfin à glisser hors de leur entrave. Quelque chose de gras, de liquide. Quelque chose qui glisserait.

Alors Otsu entreprit de frotter sa peau contre les cordes, inlassablement.

D'abord elle sentit une irritation, puis, rapidement, les démangeaisons devinrent des brulures. Elle continua à frotter, sans céder face à la douleur des fibres qui entamaient peu à peu sa chaire. Des bruits de pas dans le couloir l'arrêtèrent net. Depuis combien de temps était-elle là, seule, à se battre contre la corde ? Focalisée sur sa tâche, Otsu en avait perdu toute notion du temps, et une journée entière aurait pu passer, suivit d'une nuit, quand moins d'une poignée d'heure c'était réellement écoulée. La porte s'ouvrit sur Arbeit.

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