Chapitre 12

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Je m'assois au volant de ma voiture. Ma main caresse mon front frénétiquement. Je descends le pare-soleil. Mes yeux sont devant moi. Rougis. Ils ne résistent pas à cette vue terrible. Il n'y a rien de pire qu'un regard éploré pour accentuer une mélancolie déjà profonde. Quelques larmes complémentaires viennent s'échapper.

Une voix cristalline s'installe dans ma tête. De celles qui essaient de vous faire oublier vos moments douloureux. Je suis venu dans cette église pour connaître toutes les étapes de la vie. L'annonciation, la passion, l'ascension. Comme s'il m'était nécessaire de passer par là pour m'en sortir.

Cette vie christique se terminera, de manière assez ironique, par une annonciation. Il faut que j'affronte Benjamin, et qu'il sache. J'ignore comment, j'ignore quand, mais ce moment difficile est inévitable. Rien ne pourra se calmer tant que l'incertitude restera maîtresse de mes pensées.

Je démarre ma voiture non sans jeter un dernier coup d'œil à l'église. Nathan est assis sur les marches et regarde dans ma direction. Ma perplexité m'empêche d'y voir clair, de rassembler les pièces du puzzle qui vient de se dérouler sous mes yeux. Sa façon d'être est à la fois profondément évidente et parvient à m'échapper.

L'image de ce jeune homme, d'une dizaine ou quinzaine d'années mon cadet, apparaît soudainement dans ce lieu spirituel comme l'ange annonciateur. Pourtant, en même temps, il est aussi et surtout un ange buccinateur, spectateur bien attentif de l'apocalypse sentimentale que je vis.

La voiture avance de quelques mètres. Il ne la quitte pas des yeux. Je suis désormais au virage. Nos regards sont plantés l'un dans l'autre. Je ne résiste pas. Je ne peux pas résister. Ses cheveux blonds tombent sur son front, son air angélique est difficile à soutenir. Ses yeux ont frôlé les miens.

Les images dans mon esprit se bousculent. J'entrevois déjà ses cheveux se terrer dans mon cou. Ses joues rougissent alors que nos mains s'entrelaceraient dans un élan désespéré. Annonciateur de la fin et du début, à la fois néant et infini, Nathan serait contre moi, sur moi, devant moi.

Une douleur vive palpite sous ma chemise. Je sens mon corps entier céder à ces rêves éveillés. Je ne peux pas y céder. Comment puis-je même y penser. Pas même divorcé. A peine rencontré. Si âgé. Je n'ai ni le droit, ni même la possibilité de laisser de telles idées se développer.

Mon crâne cède à la pression et finit sa course contre la vitre. Mon bras le rejoint. J'ai besoin d'air, j'ai besoin de sortir de cet étau. Le métal, les pierres, ma montre entière ravage le bien trop fin verre. La fenêtre, déjà fragilisée depuis l'impact qu'elle subit il y a quelques semaines de la portière contre le mur, ne résiste pas.

Les bouts de verre font un bruit terrible. Ma main traverse la désormais invisible barrière. Le soleil pénètre les morceaux transparents et commence à laisser apparaître des nuances de couleur. Les vitraux sont de retour. Heureusement, le temps est suspendu. Les petits prismes prennent leur temps pour tomber.

Y compris ceux qui étaient au-dessus de ma main. Ils subissent la gravité petit à petit, progressivement. Le choc est tel que les fragments sont projetés hors de la voiture. Seuls quelques petits éclats viennent s'écraser sur mon bras. Un seul parvient à trouver l'angle idéal pour pénétrer dans mon index.

Il en ressort aussitôt. Le soleil dispose désormais d'une nouvelle couleur pour jouer. Que ce rouge peut être puissant. Des nuances naissent sous mes yeux. La main complètement sortie de la voiture, je peux y ajouter, à mon tour, quelques gouttes. Le spectacle aurait été sublime si les faisceaux pouvaient transpercer ces perles pourpres.

Un cri retentit. Le mien. La coupure du verre n'est pas profonde mais suffit à me faire mal. La voiture s'arrête sous la pression de mon pied. Mon cri a été entendu. Un cri long de quelques secondes. Je frissonne. La vue du sang ne m'a jamais dérangé, mais j'aurais assurément voulu éviter d'en verser, ne serait-ce qu'une goutte.

La métaphore christique n'a que trop duré. Cet incident a été involontaire. Quelle idée, aussi, de vouloir laisser tomber sa tête sur une vitre fragile. Même si évidemment, seul mon mouvement brusque a provoqué le fracas. Une erreur dont je me serais passé. Je vais devoir la faire réparer.

Je regarde au sol, le verre est ainsi éparpillé. Tout ceci me semble bien pathétique. Je ne me soustrairais pas à mes devoirs : je vais ramasser les morceaux avant qu'ils ne crèvent des pneus.

« Alban !? ».

Les deux syllabes résonnent dans mon esprit encore sonné. Le sang et les larmes ont cessé de couler. Pourtant, le pincement physique ressenti il y a quelques secondes fait son retour. Je sors de la voiture sans pour autant me soucier du prénom qui vient d'être prononcé, le mien.

La portière me laisse passer et les derniers morceaux atteignent le sol. Ma chemise se colle à mon torse, à cause des nouvelles billes salées qui ont, encore une fois, participé à son humidité. Quelques tâches rubis se sont ajoutées. Ma montre est intacte, fort heureusement. Je me tiens devant la voiture, devant le verre cassé.

« Alban !? »

Un corps me propulse contre le véhicule. Un corps léger. Je suis contraint à l'acceptation. Nathan enfonce sa tête dans mon torse malgré lui. Il a chuté en courant vers moi. J'avais vu ce trou en arrivant en voiture. Si je n'avais pas été là, il aurait fini sur le siège passager en une seconde.

Mon souffle est coupé pendant deux secondes, le temps que son front se dégage de ma peau. Sa tête se relève alors qu'une de ses mains est posée sur mon épaule. Je dégage la mienne de son dos. Le rouge de mon sang est imprimé sur son crâne. Avec le pouce de ma main blessée, je lui retire.

« Vous n'avez rien ?

— Juste ça ».

Il se saisit de la main qui était collée à l'instant à son front pour observer la plaie.

« J'ai tout ce qu'il faut, attendez, je reviens ».

Nathan se dégage et s'empresse de courir. Il disparaît non loin et revient avec une trottinette ainsi qu'avec un sac à dos. Il fouille dedans et sort une petite trousse à pharmacie. Il enfile des lunettes-loupe et observe l'entaille à la torche de son téléphone.

« Il n'y a pas de débris de verre. Je vais vous mettre un bandage ».

L'action ne tarde pas et voici que l'eau oxygénée me fait frémir. Les pansements parfaitement posés, Nathan me regarde, gêné.

« Désolé de...

— Merci Nathan d'être aux petits soins. Sans vous, j'aurais dû conduire avec la plaie entrouverte. Même si elle avait arrêté de saigner abondamment ».

Le jeune homme rougit et les images traversent mon esprit. Je baisse les yeux et laisse ma tête légèrement nier de telles idées. Je n'aime pas quand de telles pensées surgissent.

« Je vous en prie, Alban... Nous avons l'habitude de nous blesser vous savez... Pardon de vous avoir foncé dessus. C'était effrayant de voir tout ce verre s'éclater au sol. Et puis, vous avez crié.

— Alors, sans doute est-ce à moi de m'excuser pour vous avoir inquiété inutilement ».

Nathan n'écoute déjà plus et, avec un petit sac apparu par magie ainsi que grâce à une balayette que j'imagine utile pour la restauration des lieux, le voici en train de débarrasser la scène du délit de ses éclats.

« Je vous en prie, vous n'avez pas à faire ceci ».

Je le rejoins ainsi à genoux et nous parvenons en trois minutes à laisser le sol propre. Il laisse ses affaires ici le temps de déverser dans une poubelle publique le sac qui risquait à tout instant de s'éventrer.

« Content que vous n'ayez rien... Je chercherai votre numéro bientôt, promis ».

Dans un sourire plus lumineux que mon sang traversé par le soleil, Nathan me salue et commence à ouvrir sa trottinette.

« Vous aviez raison, Nathan... ».

L'intéressé relève la tête et me regarde en la penchant.

« Voulez-vous que je vous dépose quelque part ? ».


Le Saint Ange (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant