6 | Shayn

191K 8.6K 23K
                                    

« Il y a des choses qui brillent au milieu de la pourriture. »

Shayn

— Tu menaces les adolescentes de les tuer, maintenant ?

Cette connasse me surprend toujours quand je m'y attends le moins.

Accoudé à la fenêtre de ma salle de classe, j'observe les cendres de ma cigarette qui se désagrègent dans l'air avant de s'écraser sur le bitume, six mètres plus bas.

Étonnant que je n'aie pas encore cédé à l'envie de fumer un joint. Passer une journée entière retenu contre mon gré dans la peau d'un prof s'est avéré plus long que je ne le pensais. Mais le shit laisse une odeur, et je ne peux pas me faire virer dès le premier jour.

On a déjà atteint le seuil de drames quotidiens avec cette mauvaise surprise matinale.

Lucy me pousse pour enjamber la fenêtre. À son contact, j'ai la sensation désagréable que des milliers d'insectes courent sur ma peau. C'est récurrent, mais je ne m'y suis toujours pas habitué, et je crois bien que c'est l'aspect le plus perturbant de sa présence non désirée. Elle disparaît momentanément avant d'émerger sur le rebord de la fenêtre, où elle se penche dangereusement à la frontière du vide. Au moins, elle ne risque pas de glisser et d'y rester : c'est déjà l'équivalent d'un fantôme.

Je fixe ses contours flous, conscient qu'elle n'est que le fruit de mon imagination.

J'ai commencé à la voir quelques années après l'accident. J'ai toujours soupçonné cette putain de pilule qu'on m'a refilée une fois, en soirée, d'avoir déclenché les hallucinations. J'ai aussi lu, quelque part sur Google, que les gens qui ont vécu des traumatismes peuvent développer des genres de syndromes post-traumatiques. C'est assez vicieux. On pense que tout va bien et puis, un jour, on se réveille avec une morte étendue à côté de soi sur le lit.

Mais je n'ai jamais consulté.

Premièrement parce que le système de santé aux États-Unis est la raison pour laquelle notre pays est en tête du classement des personnes atteintes de maladies mentales.

Deuxièmement parce que je n'avais pas envie de payer pour qu'un connard en blouse blanche me dise que j'étais fou. La vie était déjà assez merdique pour ne pas s'infliger de telles réjouissances.

Alors, depuis trois ans, je vois une fille censée être morte. Lucy est l'épine dans mon pied. Mais je peux gérer. Tant que j'ai conscience que tout ça est dans ma tête, je suis certain que ça peut aller.

— Elle est jolie, commente-t-elle d'un ton approbateur. Elle ressemble à un renard.

Drôle de façon de décrire mon nouveau problème.

Un problème qui ferait mieux de prendre mes avertissements au sérieux.

Elle ne peut pas se douter que je bluffe. Elle tremble encore à cause du Glock qui aurait pu la tuer ce maudit soir. Si j'en crois son regard horrifié dans la salle de classe, elle n'osera jamais prendre le risque de me dénoncer. Mais les filles à papa comme elle sont imprévisibles et pourries gâtées, en plus d'être travaillées par les hormones de l'adolescence, alors le doute persiste.

Je me penche par la fenêtre, là où Lucy me fait de la place. Ses jambes longilignes se balancent dans le vide, elle pousse un soupir contrit.

La poisse te colle à la peau comme un vieux chewing-gum, Shayn. Ton élève, sérieusement ?

— Je sais. J'aurais encore préféré l'avoir baisée après une soirée.

— Mais tu as fait mieux. Toi et tes petits amis, vous avez cambriolé sa maison...

TROUBLEMAKER | 1 & 2 [Sous contrat d'édition chez BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant