Chapitre 1.2 - L'ère de le ruine

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Après avoir enterré Oliver, Billy et James voulurent reprendre la route sans tarder, déterminés à poursuivre notre objectif fixé depuis la fin de la guerre : atteindre la mer du Nord. Seulement voilà, l'automne se terminait, et à cause de l'hiver nucléaire qui sévissait depuis plus de dix mois, les températures devinrent glaciales, tout juste 2°C à midi. Alors que la neige commençait à recouvrir le paysage, nous dûmes nous résoudre à trouver une planque. Nous nous installâmes dans une maison isolée en périphérie d'un village abandonné entre Nonnweiler et Wadern. Malgré ce toit, une fois encore la chance nous fit défaut. Le village avait déjà subi d'importants pillages, et nos expéditions de récupération épuisèrent rapidement les dernières ressources encore disponibles dans les environs. Nous dûmes nous résoudre à reprendre nos activités d'extorsion. Condamnés à tirer notre subsistance des routes, nous assistions à la fin du Grand Exode. Après plusieurs mois d'intense migration, il ne restait que de rares groupes chevronnés. Mieux organisés, mieux équipés et plus alertes, ils n'avaient plus rien à voir avec nos premières victimes, et nous en fîmes l'amère expérience en braquant l'un de ces groupes de civils endurcis.

Tandis que Billy et moi pointions nos armes sur eux, James leur hurlait dessus pour les déstabiliser. C'était son rôle, un rôle qu'il tenait particulièrement bien. Son charisme y faisait pour beaucoup : un grand noir, presque deux mètres, large d'épaules, une voix de baryton et des mains de géant. Mais en vérité, derrière cette carrure imposante se cachait un jeune homme tout juste sorti de l'adolescence. Simple soldat, il combattait dans le même régiment que Walter. En pleine débâcle, sous un feu nourri, et alors qu'ils ne se connaissaient pas, le caporal décida de l'entraîner dans sa désertion pour le sauver. Du haut de ses 21 ans, James était le plus jeune d'entre nous, alors nous faisions en sorte qu'il mûrisse plus vite, qu'il apprenne de ses erreurs, trop fréquentes. Et justement, ce jour-là, son manque d'expérience et de discernement ne lui permit pas de voir que quelque chose clochait. Alors que James continuait à les menacer avec son arme, Billy et moi tentions de jauger la situation. Ils restaient là, devant nous, figés, calmes, à nous fixer sans rien dire, ni hostiles, ni coopératifs. Chacun de nous tenait en joue l'un d'entre eux, trois contre trois, pas d'arme à feu de leur côté, seulement des lames. La situation était clairement à notre avantage, nous respections nos trois règles à la lettre. Alors qu'est-ce qui ne tournait pas rond ? James, emporté par son rôle, provoqua l'homme qui lui faisait face. Ce fut à ce moment que la réponse à nos interrogations survint soudainement. Une quatrième personne bondit sur moi par derrière. D'où venait-elle ? Aucune idée. J'eus tout juste le temps de l'esquiver avant de lui mettre une balle dans le dos. Celui qui tenait tête à James profita de la confusion pour le désarmer et lui mettre un couteau sous la gorge. La situation ainsi retournée, le preneur d'otage nous demanda de leur donner nos armes et nos sacs à dos et nous promit la vie sauve à tous les trois. James nous regardait. Son visage n'était que peur. Le temps s'arrêta. Leur obéir nous condamnait, et rien ne les aurait empêchés de nous tuer après nous avoir dépouillés. Mon regard croisa celui de Billy un bref instant, juste assez pour nous comprendre. Il commença à reculer sans rien dire tout en maintenant son arme en joue. Puis, dans un immense sentiment de culpabilité, je fis de même. James nous implorait, les yeux écarquillés. Qu'y avait-il d'autre à faire ? Lorsque nous nous retournâmes pour courir, je l'entendis hurler de ne pas le laisser, mais il n'eut pas le temps de terminer sa deuxième phrase...

Ses yeux et sa voix me hantent chaque jour.

Le reste de l'hiver fut très difficile. Le manque de vivres et d'équipements chauds ne nous permettait qu'une poignée d'heures hors de notre planque. Nous rationnions tout, même la parole. De toute façon nous n'avions pas le cœur à discuter. Il fallait sans cesse trouver du combustible pour alimenter le feu, tandis que la faim nous tiraillait. La nourriture locale manquait atrocement, seuls quelques rares rongeurs agrémentaient ponctuellement notre régime alimentaire à base de plantes coriaces plus ou moins comestibles. Quant à l'eau, il y avait bien des rivières autour de nous, mais la pollution nous obligeait à la consommer avec parcimonie, sous peine d'accentuer significativement notre niveau de contamination. Et hors de question de consommer la neige dont la couleur grisâtre renvoyait directement à celle des nuages saturés de cendres contaminées.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant